Peu connu du grand public et parfois mal compris, le Private-Equity se trouve être un métier passionnant et indispensable à l’économie globale. Intrigué par ce métier, j’ai eu l’opportunité d’interviewer Ivan Massonnat, aujourd’hui « partner » chez PAI Partners, l’une des plus anciennes entreprise de Private Equity française. En quoi consiste le Private Equity ? A quoi sert-il ? Quel est le parcours type pour y faire carrière ? Tour d’horizon de ce préstigieux domaine:
[Charles Geoffroy]: Pouvez-vous nous présenter le Private Equity ?
[Ivan Massonnat]: Le Private Equity (PE) regroupe les métiers d’investisseurs en capital de sociétés. Le nom « Private Equity » prend sens puisque les actions achetées ne sont pas cotées, contrairement aux marchés financiers, le « Public-Equity ».
Le PE est un actionnariat professionnel qui se trouve à mi-chemin entre l’actionnariat familial et l’actionnariat coté, c’est un placement de long terme entre 5 et 10 ans.
Notre métier est d’être actionnaire. Nous ne nous immisçons pas dans le management des sociétés. En revanche, le PE a développé au fil des décennies des savoir-faire qui consistent à bien évaluer la stratégie d’une entreprise, à lui donner des conseils, surtout lorsque nous contrôlons la société (plus de 51% du capital jusqu’à généralement 100%). Nous prenons des décisions au niveau stratégique et nous nommons les dirigeants pour mener à bien la stratégie et son exécution.
En résumé, l’investisseur en capital est actionnaire professionnel détenant une minorité ou majorité du capital de sociétés de toutes tailles et dont le métier permet de développer une stratégie regroupant les domaines économiques, sociaux, responsables, managériales et de générer des plus-values à la revente.
Typiquement un fonds de PE (composé d’une quinzaine de sociétés) a une durée de vie de 10 ans. Pendant les cinq premières années le fonds investit puis revend lors les cinq dernières années.
Le fonds c’est un peu comme une cagnotte confiée par des investisseurs institutionnels ou particuliers, nous en sommes les gestionnaires. Nous avons un pouvoir discrétionnaire et donc celui de choisir de faire la transaction A, faire la transaction B et ne pas faire la transaction C. Nos investisseurs n’interviennent pas dans les choix des sociétés composant notre portefeuille.
[CG]: Comment se positionne PAI par rapport aux autres groupes de PE français ou pan- européens, (segmentation de marché, industrie, type d’investissement, gouvernance interne …)
[IM]: PAI (Paribas Affaires Industrielles) a une très vieille histoire. Nous faisions du Private Equity avant même que le terme existe. La banque Paribas a dès son origine constitué un portefeuille de participations industrielles. PAI a ensuite hérité progressivement de ce portefeuille historique dans lequel il y avait des lignes telles que RTL Groupe qui date de 1936. Au cours du XXème siècle, PAI a alors accompagné le développement du groupe en tant qu’actionnaire minoritaire. Nous avons aussi été l’actionnaire fondateur de M6, de Bouygues Telecom et avons fait dans les années 90 du Capital-Risque qui est une forme de Private Equity.
Nous faisions aussi des opérations majoritaires. En 2001, alors que BNP venait de racheter Paribas, nous avons pris notre indépendance en rachetant à BNP la société de gestion. Depuis 20 ans, nous ne faisons plus que du LBO [Leverage Buy-Out] dans un nombre de secteurs définis : agro-alimentaire, santé, industrie, service, distribution. Nous recherchons des ETI [Entreprise de Taille Intermédiaire] qui ont une valorisation d’au moins 500 millions et au plus 2 milliards avec en moyenne 1 milliard. Lorsque nous revendons les participations (en moyenne 5 ans plus tard) elles ont généralement doublé de taille.
Notre métier est donc de comprendre le secteur, identifier des pépites dont le siège est en Europe, et lorsqu’il y a une opportunité de LBO nous essayons de rentrer au capital pour la développer à travers la croissance organique ou des acquisitions pour consolider sa stratégie, pour renforcer son l’équipe dirigeante, pour accompagner la transformation, de plus en plus à caractère digitale. In fine, nous essayons de rendre les entreprises beaucoup plus performantes et les accompagner jusqu’à leur potentiel maximal.
[CG]: Pouvez-vous nous présenter votre propre parcours académique et professionnel ?
[IM]: Diplômé d’une école d’ingénieur, j’ai un profil très atypique dans ce secteur. J’ai rejoint les équipes de Paribas à l’époque où PAI faisait du Capital-Risque et j’ai donc appris le métier lié au LBO au sein de PAI.
[CG]: On entend souvent dire que le passage en banque d’investissement est obligatoire avant de travailler en Private Equity, est-ce vrai ? Quel est le parcours type pour travailler dans le PE ?
[IM]: Ce n’est pas obligatoire, mais il est cependant vrai que nous recrutons très peu de jeunes diplômés.
Quand nous regardons le parcours des candidats que nous recrutons, ce sont des personnes qui ont essentiellement une expérience dans le M&A, mais aussi en conseil en stratégie (McKinsey, BCG…) car ils ont déjà l’habitude de travailler avec des analyses de business model, de positionnement stratégique, de retour sur investissement très similaires à nos modèles.
Parfois nous recrutons des profils plus atypiques, tels que des personnes ayant eu une expérience dans une start-up, parfois nous recrutons des candidats qui ont eu une expérience en audit.
[CG]: Pouvez-vous décrire une journée type d’un responsable d’investissements ?
[IM]: Quotidiennement, nous analysons des dossiers à différents stades du cycle d’investissement. Le plus en amont est l’analyse de cibles lorsque nous apprenons qu’une enchère va arriver sur tel ou tel actif. La première étape est d’analyser le secteur, comprendre l’entreprise, son positionnement, ses forces et ses faiblesses. Ensuite, il y a des dossiers qui sont plus avancés et qui sont dans la phase de Due-Diligence. Nous faisons ces Due-Diligence sur toutes les dimensions de l’entreprise : environnement, digital, managérial… puis construisons le dossier interne afin d’avoir un point de vue global sur l’entreprise. Nous travaillons alors avec des conseils extérieurs pour nous aider à analyser en détail la stratégie de l’entreprise et voir comment il est possible d’améliorer sa rentabilité. Nous contactons par exemple des entreprises comme McKinsey ou BCG ou mandatons Deloitte ou PwC. Nous sommes généralement en compétition intense avec d’autres sociétés de PE et corporates pour un seul et même investissement. Lors d’un travail de valorisation, nous préparons une offre détaillée en espérant être sélectionnés par le vendeur.
Dans l’idée, l’équipe travaille à 80% sur ces étapes d’analyses, et 20% de leur temps va être consacré à la gestion du portefeuille : interaction avec les équipes dirigeantes, analyse de reporting, gestion des valorisations et des conseils d’administration régulièrement.
[CG]: Avez-vous un commentaire sur le niveau actuel des valorisations ? Cela vous incite-t-il à sélectionner des profils de sociétés différents ? Quelle est votre cible de TRI [Taux de Rentabilité Interne] ?
[IM]: Le principal problème est que nous sommes dans un monde cyclique et volatil. Cela induit donc la variation des prix puisque nous valorisons les entreprises en multiple de leur EBITDA [Earning Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization, ndlr.]. De plus comme la bourse monte et baisse, nos prix suivent la tendance. Ce n’est certes pas directement lié mais une forme de corrélation peut être ressentie.
Actuellement, nous sommes dans un moment de marchés où les prix sont élevés. C’est dans ces moment-là qu’il est difficile de faire des “bonnes affaires”.
Les rendements qu’attendent nos investisseurs nets de tout frais, c’est au moins 15% annuel, cela veut dire que sur les opérations, il faut que nous ayons en brut 20% de TRI (Taux de Rentabilité Interne) minimum. Dans les faits, il est très facile de gagner une enchère, il suffit de mettre plus que le concurrent ; mais le problème c’est que si nous payons trop chers certains actifs nous ne ferons jamais le TRI ciblé. Nous sommes dans un métier où il faut savoir être très sélectif, très discipliné surtout dans les moments actuels, où le cycle est très haussier en termes de valorisation.
Pour revenir aux sélections de sociétés, nous évitons depuis un an ou deux les secteurs cycliques car ce pourrait être une double peine. En effet, si nous achetons une société dont l’EBITDA est en haut de cycle alors, lorsque le cycle se retourne l’EBITDA et le multiple baissent à la fois, ce qui est catastrophique. Nous essayons aussi d’éviter les secteurs où il y a trop d’investissement en cash-flow dans lesquels il y a structurellement plus d’investisseurs.
[CG]: Quelles sont les 3-4 « due diligence » clefs que vous mettez systématiquement en œuvre avant ou immédiatement après une prise de contrôle ?
[IM]: Nous passons en « Due-Diligence » absolument tout : la stratégie, les comptes, le juridique, le fiscal, l’environnement, le social, le digital, l’ESG (Environnementaux, Sociaux et de gouvernance).
Le management en lui-même représente aussi une partie indéniable du processus. Avant d’acheter la société, il va s’agir par exemple de « background check« : nous allons demander à des tiers dont c’est le métier de vérifier que les managers sont appropriés. Une fois propriétaires nous pouvons procéder à des assessments du management avec d’autres prestataires, souvent des cabinets de chasseurs de têtes, qui font une analyse fine de la personnalité des dirigeants (top 10/15 de la société) pour bien comprendre leurs forces et faiblesses.
[CG]: Dans quels délais vendez vous vos entreprises ? Au terme de quel processus ? Comment créez-vous de la valeur ?
[IM]: Comme dit précédemment, la durée de détention est d’environ 5 ans. Le fonds en lui-même a une durée de 10 ans. Il existe bien entendu des exceptions si un investissement performe mieux que prévu ou au contraire s’il est nécessaire de garder une participation plus longtemps pour atteindre nos objectifs. Une des grandes forces du PE c’est justement sa capacité à choisir quand nous voulons vendre !
Par exemple chez PAI, nous avons un fonds qui a traversé la crise de 2008, un tiers du fonds avait été investi avant. Lorsque la crise battait son plein, nous avons gardé nos actifs. Ce fonds est aujourd’hui le meilleur que nous ayons eu, la pire ligne dans ce fonds faisant deux fois la mise !
Les processus de vente sont similaires aux achats mais cette fois-ci, nous sommes du côté vendeur. Nous mandatons une banque M&A, en lui demandant de nous trouver tous les acheteurs possibles.
Il y a trois grands types de sorties :
- Les corporates: Notre objectif est de vendre à des leaders, souvent des grands groupes industriels. Un exemple souvent cité est Yoplait. Nous l’avons vendu à General Mills, qui était notre partenaire aux États-Unis, et le premier groupe mondial (qui a donc racheté le deuxième). Cette façon de revendre est souvent la plus rémunératrice, puisqu’un grand groupeest prêt à mettre le prix pour acquérir l’entreprise.
- Vendre à un autre fonds : Nous avons un fonds d’une certaine taille, mais il y a des concurrents qui ont des fonds beaucoup plus gros (généralement américains) et qui recherchent des cibles telles que les entreprises que nous revendons. Ils sont en général ravis puisque nous avons au préalable fait le plus difficile. De façon très concrète : Il y a quelques années, nous avons acheté Spie (maintenance électrique, des maintenances de réseaux, ndlr.) en cinq ans, nous avons fait 79 acquisitions complémentaires en Europe (build-ups, ndlr) et nous en avons fait le numéro 2 européen. Cette entreprise a alors été rachetée par un grand fonds américain après une enchère. Ce fonds après, quatre ou cinq ans, a revendu cette entreprise, en bourse.
- La bourse justement est elle aussi une porte de sortie pour nos entreprises. Ce n’est cependant pas la plus appréciée ni recherchée par les investisseurs. Premièrement, toutes les sociétés ne sont pas faites pour la bourse, notamment les ETI (autour d’un ou deux milliards). Mais surtout, la bourse est effectivement très réactive, les investisseurs sur les marchés veulent des résultats très rapides. Par ailleurs, quand nous vendons à un corporate, ou un fonds de PE, nous récupérons 100% du cashor lorsque nous introduisons en bourse, souvent nous ne récupérons pratiquement riendans l’immédiat. Nous avons ce que nous appelons un « lock-up », c’est-à-dire que nous n’avons pas le droit de vendre nos titres immédiatement. Ensuite, il y a souvent un « discount IPO ». Les marchés pour accepter l’IPO à un certain prix, vous demandent une décote. Enfin, nous prenons le risque de marché c’est-à-dire que même si nous vendons à l’IPO, nous devons alors croiser les doigts pour que la bourse ne baisse pas.
[CG]: L’investissement responsable prend de plus en plus d’importance aux yeux du grand public, pouvez-vous exprimer quelques données en matière d’ESG issus de vos portefeuilles de participations ? Quelle importance PAI accorde-t-il à la mixité au sein des équipes (gender diversity) ? Comment expliquez-vous l’écrasante majorité d’hommes dans les équipes de PE et dans la Finance en général ?
[IM]: Nous avons fait partie des premiers, il y a huit ans, à signer les PRI (Principles for Responsible Investment) et à mettre en place une équipe ESG. Depuis, nous en avons fait un indéniable facteur constituant notre cœur de métier.
Concernant le taux de parité au sein du domaine financier, c’est un vrai sujet. Nous essayons de faire bouger les lignes et avons été l’un le premier fonds à le faire en France et à essayer de changer les mentalités.
Toutefois, il y a des raisons objectives et subjectives qui impactent tous les secteurs d’activités. Les raisons objectives sont qu’il est vrai que nous faisons un métier ultra intense et qu’à cause de la maternité et un mode de vie différent, les femmes n’ont pas toujours été intéressées par ce métier car il s’agissait d’un investissement personnel trop fort. Cela dit c’est en train d’évoluer et nous essayons dans nos recrutements de jeunes de systématiquement viser 50/50. Nous visons l’égalité parfaite dès la base de la pyramide, en expliquant et rassurant les femmes que lorsqu’elles seront plus âgées et que lorsqu’elles auront leur(s) enfant(s) nous en tiendrons compte et que nous arriverons à nous adapter.
Aujourd’hui sur 17 associés, seulement une est une femme, le prochain associé sera une autre femme. Nous faisons de notre mieux mais c’est là un problème structurel qui prend énormément de temps à résoudre.
Il y a beaucoup de biais qui font que tous les secteurs sont impactés. Les hommes se survalorisent, ils ont tendance à avoir confiance en eux, alors que les femmes, même si elles ont les mêmes notes, mêmes capacités n’osent pas aller dans certaines voies plus sélectives. C’est très souvent lié à l’éducation, ce sont donc des problèmes qui concernent toute la société, pas seulement la finance.
[CG]: Quels conseils pouvez-vous donner à un(e) étudiant(e) en école de commerce qui voudrait faire carrière en Private Equity ?
[IM]: Avant tout je lui dirais que c’est une excellente idée car c’est un des métiers de la finance qui est le plus complet, le plus long-terme et le plus enthousiasmant. Nous vivons constamment des histoires fabuleuses avec nos business.
La question c’est comment et quand y aller.
Il faut avant tout viser des premières expériences dans des environnements très exigeants comme des cabinets de conseil/banque M&A, qui sont de réelles écoles de travail. Il faut apprendre à travailler avant de venir en PE et une expérience de minimum 2/3 ans et maximum 4/5 ans. Après il faut se lancer, l’avantage aujourd’hui c’est qu’il y a beaucoup de fonds, beaucoup d’acteurs, un vrai marché de l’emploi contrairement à il y a 20 ans !
[CG]: Enfin, une question proche de nos préoccupations d’étudiants, quels profils vous intéressent dans le cadre de stage/césure au sein de PAI Partners ? Quels sont les processus de sélection/recrutement ?
[IM]: Nous ne prenons pas de summer-internship, mais prenons en permanence des stagiaires pour une durée de six mois. Des processus de recrutement ont lieu plusieurs fois dans l’année souvent dans les équipes d’investissement ou dans les équipes transversales.