Et si Freud nous permettait de résoudre les crises financières ? La question parait complétement décalée, complétement loufoque et pourtant elle a le mérite de soulever une vérité parfois douloureuse à entendre : les crises sont causées avant tout par les Hommes.
Le marché semble fonctionner seul, indépendamment de toute personne. Et pourtant, sans Homme, pas d’entreprise ; pas d’entreprise, pas de profit potentiel ; pas de profit potentiel, pas de marché et, de fait, pas de crise : il s’agit sans aucun doute de l’équation la plus simple de la finance.
Au diable, la théorie des marchés efficients de Fama (Cf infra), et bienvenue dans le monde complexe et envoûtant de la « finance comportementale »…
Un marché efficient, une douce illusion…
En 1970, Eugène Francis Fama, économiste de renom, propose, dans un article intitulé « Efficient Capital Markets : a Review of Theory and Empirical Works », une des théories les plus critiquées et les plus débattues dans le monde de la finance : l’hypothèse des marchés efficients.
Pour qu’un marché financier fonctionne correctement, il faut que les titres suivent une « marche aléatoire » rendant leur évolution imprévisible. Très simplement, on peut résumer cette hypothèse par « on ne peut pas battre le marché, il faut le laisser vivre ». Pendant très longtemps, personne ou presque n’a osé remettre en cause cette théorie à la base de toute réflexion financière.
Aujourd’hui, les chercheurs la critiquent : quel est le rôle de l’humain ? Dans la théorie de Fama, il faut laisser faire les marchés, faire confiance à ces derniers, et minimiser le rôle de l’Homme.
Pour commencer, il faut bien se rendre compte que ce modèle, certes utile, est très imparfait : l’Homme intervient nécessairement, et cela est essentiel pour que le marché fonctionne bien.
En finance comportementale, on considère que des erreurs cognitives, émotionnelles, et d’imitations peuvent venir troubler la formation des prix si évidente dans la théorie de l’économiste américain. La finance comportementale se veut la plus proche possible de la réalité. On préfère donc parler de degré d’efficience des marchés : faible, semi-fort et fort.
La finance comportementale replace l’Homme au centre de l’analyse et remet clairement en cause les modèles traditionnels.
Alors que faut-il comprendre ? Que faut-il faire ? Tout remettre en cause ? Peut-être pas. Les maîtres-mots à retenir sont : adaptation et compréhension. Aujourd’hui, il faut comprendre l’Homme pour espérer comprendre la finance, ses dérives mais aussi ses réussites…
Un peu d’histoire de la finance comportementale…
Trouver un père fondateur de la finance comportementale n’est pas une chose facile : plusieurs milliers de scientifiques s’intéressent aujourd’hui à la question et nous avons l’impression qu’ils ne le font que depuis la « crise des subprimes ».
Daniel Kahneman, prix de la Banque de Suède en l’honneur d’Alfred Nobel en 2002, est à mes yeux, l’économiste ayant le plus fait avancer la finance comportementale. Chercheur de renommée mondiale, il s’est attelé durant toute sa carrière à démontrer que l’homme n’est pas un être rationnel prenant sans cesse les bonnes décisions (thèse pourtant retenue par un grand nombre d’économistes). En 2000, dans « Choices, Values and Frames », il applique ses découvertes à la finance et démontre que les crises financières sont, en partie, dues à un manque de rationalisme de la part des acteurs financiers.
Un exemple vaut toujours mieux que de longues et périlleuses explications : prenons-en donc un afin d’expliquer la thèse de Kahneman. Admettons que vous rentriez dans un casino à Las Vegas, et qu’un croupier vous propose deux jeux : à la table A vous êtes sûr de gagner un million d’euros, à la table B, vous avez 89% de chance de gagner un million, 10% d’en gagner 2,5 et 1% de ne rien gagner. Supposons une mise assez dérisoire par rapport aux sommes considérées : 100€. Un individu rationnel irait à la table B car en réalisant une simple moyenne (qui de nos jours amène une calculette au casino ?), il se rendrait compte qu’il peut gagner en moyenne 1,14 million d’euros à cette table, contre 1 million d’euros à la table A. Pourtant certains individus vont préférer aller jouer à la table A car ils sont sûrs de gagner un million simplement en s’y présentant. Cela ne semble pas rationnel d’après les analyses de Fama et pourtant cela existe !
Kahneman explique qu’il manque certaines hypothèses dans le modèle de Fama car ce dernier n’admet pas le fait que les Hommes peuvent faire des choix non rationnels pour de multiples raisons (aversions aux risques, besoin d’argent, compréhension trop partielle des mécanismes de marché, etc.). Il prouve donc que pour comprendre le marché, il faut comprendre l’Homme car les variations de ce dernier dépendent étroitement de ce que les êtres humains font et il faut bien garder en tête que cela n’est pas toujours très rationnel… De plus, Fama n’admet qu’un rôle très minime de l’Homme en finance alors que pour Kahneman son rôle est essentiel et grandissant.
Depuis le début des années 2000, les analyses se sont complexifiées et approfondies. Il me semble pertinent de s’arrêter sur les biais. Ces derniers peuvent avoir un réel impact sur les décisions financières des investisseurs.
Les biais cognitifs, émotionnels, individuels ou pourquoi la finance dérive ?
Tout d’abord les premiers biais dont il faut parler sont les biais cognitifs. Ils sont liés à la compréhension, à la mémoire, aux routines, etc… Ces biais affectent directement le comportement de l’Homme sur le marché financier. En 2008, par exemple, les investisseurs ont mal analysé et mal compris ce qu’étaient les actifs recomposés à base de créances douteuses. Cette mauvaise compréhension a été à la base de la crise des subprimes. On voit donc bien l’impact de l’Homme sur le marché financier.
Les biais émotionnels ont eux aussi un énorme impact sur la finance : les peurs rationnelles ou non, la fierté de l’investisseur, les réflexes influencent la façon de penser de l’Homme et impactent donc les variations du marché. En effet, un investisseur a tendance de manière plus ou moins poussée à répercuter ses émotions sur son comportement financier : par exemple, dans un marché baissier ou quand une action diminue très rapidement, certains financiers paniquent et revendent massivement leurs titres, ce qui tire encore plus les marchés vers le bas.
Les prophéties autoréalisatrices sont le résultat de croyances populaires des hommes et sont souvent responsables des crises financières. Pour définir simplement une prophétie autoréalisatrice nous pouvons dire qu’il s’agit d’un ensemble de croyances populaires sur un titre ou un marché se réalisant car tout le monde y croit. Typiquement, ce genre de croyances sont dues à un ensemble d’informations données par des professionnels, des journalistes, des chefs d’entreprises qui communiquent sur ladite action ou sur ledit marché et qui vont être reprises massivement par les investisseurs. Ces derniers vont fonder leurs analyses dessus. Les prophéties autoréalisatrices ont mené à la crise de la bulle internet au début des années 2000. En effet, tout le monde pensait que les entreprises de la nouvelle économie allaient changer le monde ce qui a fait augmenter considérablement le cours des actions (le cours d’Amazon a été multiplié par 150 en 3 ans seulement, par exemple) et ce dernier s’est écroulé quand tout le monde s’est dit que finalement elles n’allaient pas tant révolutionner le monde entier et que leurs stabilités financières étaient loin d’être assurées.
D’un paradigme à un autre : des mathématiques à la psychologie ?
Cet article n’a pas pour but de tout remettre en cause, il cherche simplement à vous faire réfléchir autrement, à vous faire prendre conscience que derrière les chiffres, il y a l’Homme. La finance gravite autour de l’investisseur gravitant lui-même autour des chiffres : une bien belle équation à deux inconnus…
Dans un futur proche, de grands psychanalystes des marchés vont apparaître car, aujourd’hui, leur rôle dans la compréhension et dans la prévision de l’évolution des marchés est essentiel. Il faut prendre conscience de l’importance de l’homme et de l’impact considérable de ses décisions sur l’évolution du marché. Finalement, la philosophie et la psychologie souvent détestées par les financiers pourraient s’avérer bien utiles…
Aurélien Payet