De Mathilde Derambure et Pauline Le Carff
Après près de 5 ans de négociations, un accord fut signé entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne. Plusieurs mois après la sortie effective de l’Union Européenne, GFS et GEM ONU reviennent sur trois faits d’actualité pour vous présenter les difficultés d’implémentation de cet accord. Son application demande en effet beaucoup d’efforts, la réalité étant souvent plus complexe qu’on ne l’imagine, et les liens entre les deux entités extrêmement forts.
Une chaîne d’approvisionnement lourdement fragilisée
Alors que les habitants du Royaume-Uni font face, depuis plusieurs semaines déjà à des pénuries dans le domaine des biens de consommation, l’annonce de BP (société leader du secteur du carburant au Royaume-Uni), le 23 septembre, du rationnement des livraisons d’essence dans ses stations-service a mis en lumière les difficultés d’approvisionnement que subit actuellement le pays d’outre-Manche.
Pour comprendre l’origine de ces pénuries, il est essentiel de noter qu’elles ne sont pas dues à un manque de biens ou de matières premières, mais à une situation bien particulière liée au Brexit : le manque de travailleurs étrangers. Certains parce qu’ils n’ont pas pu revenir, le projet britannique de politique migratoire ayant mené à la baisse du nombre de visas accordés. D’autres, inquiets des lourdeurs administratives liées au Brexit ou désireux de vivre au sein de l’UE. Peu importe la raison de leur absence, cette dernière cause deux problèmes majeurs en termes d’approvisionnement.
Figure 1: explications des pénuries au Royaume-Uni

Tout d’abord, le manque de travailleurs compromet la production de biens au sein même du pays. Les accords du Brexit ont ainsi eu pour conséquence une diminution flagrante du nombre de travailleurs saisonniers, ce qui entrave directement le bon fonctionnement des chaînes d’approvisionnement du pays. Dans le secteur de la grande distribution alimentaire, des scènes surréalistes ont vu le jour : des rayons de fruits et légumes en grande partie vidés, pendant que des agriculteurs se voyaient contraints de laisser pourrir leur production de ces produits dans les champs, faute de main d’œuvre.
D’autres biens de consommation, à l’instar des produits laitiers ou de la volaille, se sont faits très rares dans les supermarchés britanniques. Loin de s’arrêter au secteur de la grande distribution, ces pénuries pénètrent le secteur de la restauration, qui fait face à un double enjeu : l’absence de certains produits alimentaires contraignant les restaurateurs à rayer certains plats de leur carte, et le manque de personnel les obligeant à restreindre leurs heures d’ouverture.
Face à cette crainte de pénuries de plus en plus importantes, le gouvernement se veut rassurant, et le porte-parole de Tesco, leader national de la grande distribution, a affirmé pouvoir faire face aux risques de pénuries et a appelé les britanniques à ne pas céder aux « achats de panique », mais tout le monde ne se montre pas si optimiste. Pour Ian Wright, président de la Food & Drink Federation, la situation n’est pas près de s’améliorer, et « Le temps où le consommateur britannique pouvait trouver à peu près tout ce qu’il souhaitait est terminé. »
Le manque de routiers est encore plus handicapant pour le Royaume-Uni, empêchant l’importation de certains biens, ou leur bon acheminement dans le pays. En effet, l’Office national des Statistiques recense 16 000 conducteurs de poids lourds en moins au Royaume-Uni depuis la mise en œuvre des accords du Brexit.
Preuve de la globalité du problème, certaines grandes enseignes telles que Ikea, Haribo ou encore Wilko déclaraient déjà début septembre ne plus parvenir à approvisionner leurs points de vente britanniques. Cependant, la situation a pris une tournure encore plus dramatique fin septembre, lorsque BP a annoncé devoir rationner les livraisons d’essence dans ses stations-service par manque de chauffeurs routiers. Cette nouvelle a poussé les automobilistes à des « achats de panique », provoquant ainsi des pénuries dans la majorité des stations-service du pays et, par conséquent, une hausse des prix du carburant.
Cette situation est un enjeu majeur pour le gouvernement britannique, à l’heure ou le Brexit ne fait pas l’unanimité au sein des citoyens du Royaume Uni. En effet, le gouvernement essuie aujourd’hui de nombreuses critiques car, selon de nombreux économistes et politiciens, le risque d’un manque de chauffeurs routiers en cas de Brexit était connu, mais n’a pas été pris en considération dans les accords.
Poussant la critique, Jacob Kirkegaard, économiste de renom, explique que ce problème n’est que l’une des conséquences de la vitesse à laquelle le Brexit a été mis en place. De plus, ces pénuries dues à la rareté des chauffeurs routiers, couplées à la hausse du prix de l’énergie, ne sont pas sans rappeler l’Hiver du mécontentement (1978-79), durant lequel la grève des chauffeurs avait causé de nombreuses pénuries. Ce souvenir traumatisant, encore très présent dans la mémoire collective britannique, fait de la situation actuelle un enjeu politique, puisque revivre un épisode similaire reviendrait à reconnaître la nécessité de l’Union Européenne dans le bon fonctionnement de l’économie du pays.
Le traité sur l’Irlande du Nord, une nouvelle source de divisions
Figure 2 : les divisions et problèmes engendrés par le traité

L’Irlande du nord est un autre domaine où les accords ne suffisent pas, malgré la signature d’un traité spécifique à ce territoire. Pour rappel, à la fin de la période de transition post-Brexit, cette région du Royaume-Uni est restée dans le marché unique et l’union douanière, ce qui lui permet d’échanger des biens avec l’Irlande en subissant un minimum de contrôles, mais lui impose une frontière économique avec le Royaume-Uni.
Pour éviter une résurgence des tensions par l’application arbitraire d’un accord long terme, cet accord l’accord n’est en outre que temporaire : l’assemblée Nord-Irlandaise décidera quatre ans après la fin de la période de transition si le pays restera dans le marché unique. Cela lui permet en théorie la liberté de choisir de qui il veut être le plus proche : le Royaume-Uni ou l’Irlande (et l’Union Européenne), le tout sans réveiller les tensions.
Pourtant, l’Irlande connait en 2021 une explosion de violence : manifestations et affrontements marquent ainsi l’actualité Nord-Irlandaise depuis avril dernier. En effet, de nombreux Nord-Irlandais partagent l’idée que cet accord les éloigne trop de Londres et favorise l’idée d’une réunification avec la République d’Irlande. Pour eux, la frontière commerciale décourage certaines entreprises britanniques d’exporter leurs marchandises vers l’Irlande du Nord, et provoque ainsi des pénuries dans les secteurs pharmaceutique et alimentaire. Ainsi, ils souhaiteraient qu’elle soit remplacée par des contrôles avec leurs voisins irlandais.
Ajoutées aux tensions politiques, économiques et sociales en Irlande du Nord, des tensions géopolitiques entre Londres et Bruxelles sont aussi apparues sur ce sujet, les deux parties n’arrivant pas à trouver de solution satisfaisante. Si l’Union Européenne a accepté d’assouplir les contraintes commerciales entre le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord, elle n’envisage pas renégocier le traité.
Pour soulager des tensions grandissantes, la commission européenne s’est déclarée ouverte à des aménagements spéciaux, offrant par exemple de réduire les règles sur les contrôles sanitaires, les règles douanières, les médicaments et la gouvernance de l’accord à l’entrée sur le territoire, ce que semble souhaiter le patronat Nord-irlandais.
Le gouvernement britannique et les unionistes nord-irlandais ne sont cependant pas satisfaits de cette ouverture, le problème provenant pour eux de la frontière dans leur territoire. Boris Johnson fait ainsi pression sur l’UE, notamment en menaçant de rompre l’accord.
Les territoires sous souveraineté britannique grands perdants du Brexit
Figure 3 : risques et pertes pour les territoires sous souveraineté britannique après le Brexit

L’Irlande du Nord n’est pas le seul territoire britannique fortement touché par ce retrait du Royaume-Uni : les îles britanniques en subissent aussi fortement le contrecoup, et ce à plusieurs niveaux. Beaucoup n’ont pas été comprises dans l’accord commercial conclu entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne, et subiront donc des droits de douanes sur toutes leurs exportations en direction de l’Europe.
Prenons l’exemple des îles Malouines : sur le secteur de la pêche (40% du PIB et 60% des recettes fiscales du pays), 90% des exportations seront concernées par des droits de douane de 6 à 12%. Le tourisme, autre source de revenus importante de ce territoire britannique, risque également d’accuser le coup : la protection de la biosphère était assurée par l’Union Européenne à la hauteur d’un million d’euros par an, qu’adviendra-t-il de ces beaux paysages si personne ne paie pour les entretenir ? L’Argentine profite en outres de ces difficultés pour essayer de rediscuter le statut de ces îles, n’ayant jamais renoncé à les reconquérir. De vieilles tensions géopolitiques semblent ainsi se réveiller.
Ajoutons à cela que les îles auparavant sur liste grises de l’UE sur les paradis fiscaux peuvent maintenant servir de moyens de pression : les îles Caïmans, territoire britannique, ont ainsi été le premier territoire d’un État ou ex-État membre de l’Union Européenne à apparaitre sur la liste noire, et ce 3 semaines après la sortie effective du Royaume-Uni. Beaucoup ont vu cela comme un avertissement, un moyen de mettre en garde le gouvernement de Boris Johnson et de les empêcher de créer ce type d’économie en Grande-Bretagne ou à Gibraltar.
Ainsi, l’Accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne, négocié entre les deux parties pendant 5 ans, comporte certaines faiblesses qui se traduisent par des conséquences concrètes, jusqu’ici payées en majorité par les Britanniques. Ce constat, établi moins d’un an après l’application effective du Brexit, laisse s’interroger sur la pérennité de l’accord et ses conséquences pour les pays concernés.