Par Cassandra Duhamel
2021 est une année marquée par le retour de l’inflation, qui réapparaît après une longue période d’atonie. Avec son augmentation progressive au cours des derniers mois, les banques centrales doivent mettre en place des actions pour la réguler dans le but de minimiser et lisser sa croissance.
C’est ainsi que depuis plusieurs mois déjà, la planète financière est sur ses gardes à chaque réunion du comité de la politique monétaire de la BCE. De fait, un relèvement des taux directeurs, solution première à la régularisation des prix, serait le signe que l’injection massive de liquidités qui dope les marchés depuis 2008, touche à sa fin.
Et pourtant…
Contre toute attente, jeudi 21 octobre, la BCE a assuré vouloir garder des taux toujours aussi bas jusqu’à la prochaine révision en décembre, justifiant que les pressions inflationnistes ne sont que temporaires.
La politique monétaire de la BCE est-elle trop accommodante ? Pire, est-elle irréversible ? Souvent annoncée, souvent différée, pourquoi la montée des taux d’intérêt n’est-elle toujours pas d’actualité ?
Comment la BCE a soutenu l’économie en temps de crise ?

Figure 1 : Mesures de soutien à l’économie en tant de Covid-19 de la part de la BCE
Aux grands maux de grands remèdes : à la suite du ralentissement de l’économie lié à la crise de la COVID-19, la BCE a mis en place de nombreuses politiques de soutien à l’économie parmi lesquelles se trouvent des politiques monétaires.
Tout d’abord, il est bon de rappeler que les taux ont été simplement instrumentalisés à la baisse. Le taux du prêt marginal est par exemple à 0,25% ; le taux de refinancement reste à 0,00%, et le taux de facilité de dépôt est maintenu à son taux négatif de -0,50%. Cette baisse de taux plus que significative a été permise par des mécanismes liés à la prise de mesures d’ampleur inédite. Ces mesures sont dites non conventionnelles.
Parlons du Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP) lancé par la Banque centrale européenne en mars 2020 qui consiste en des rachats massifs d’obligations. Il s’agit du plus grand programme de rachat de dettes de l’histoire de la BCE.
En achetant un grand nombre d’actifs, c’est-à-dire en augmentant leur demande, la BCE encourage les banques à être moins frileuses et à octroyer plus de prêts aux agents économiques, ce qui stimule l’investissement et la demande ; et cette augmentation des prêts permet de faire baisser les taux d’intérêt.
Des taux d’intérêt bas favorisent en outre l’abondance de liquidités sur les marchés, et donc, l’investissement. De plus, grâce aux taux bas, les États peuvent s’endetter à moindre coût, ce qui leur permet de mettre en place de vastes plans de relance.
Suivant les mêmes mécanismes les Long term refinancing operations, généralement appelées LTRO, sont des prêts à long terme (trois ans) accordés aux banques commerciales par la Banque centrale européenne. L’objectif est de donner davantage de liquidités à long terme aux banques afin de leur permettre de souscrire aux titres des États en difficulté et de maintenir la distribution de crédit.
Éviter la catastrophe, restaurer la confiance, et contourner un credit crunch (ou contraction d’octroi de crédit par les banques), voici les justifications plus que fondées qui ont été les bases de l’injection massive de liquidités dans l’économie et des faibles taux d’intérêts.
Cependant, des signes annonciateurs de reprise économique (croissance, inflation) commencent à apparaître, dissipant l’urgence et avec elle une partie de la légitimité de la politique monétaire.
Inflation et politique monétaire expansionniste : quels dangers ?
Longtemps espérée voire suscitée et recherchée, l’inflation est désormais de retour. Elle est visible par exemple dans les prix à la consommation, qui ont augmenté de 2,6 % sur les douze derniers mois, selon les chiffres publiés vendredi 29 octobre par l’Insee. « La plus forte hausse depuis octobre 2008 », souligne Aurélien Daubaire, Chef du département des prix à la consommation à l’Insee. Quant à eux, les prix de l’énergie enregistrent une hausse de 20,1 % en un an. Le retour de l’inflation devrait donc signer théoriquement la fin des politiques monétaires expansionnistes.
En effet, la BCE a pour rôle premier de « respecter son mandat étroit et ne pas se laisser entraîner par la politique budgétaire ou les marchés » selon Jens Weidmann, ancien président de la Bundesbank, dont la mission “prioritaire [était] de veiller à la stabilité des prix” (article 1).
Mais Jens Weidmann démissionne et le flot qui inonde la planète financière ne semble pas se tarir.
Ce report de la remontée des taux n’est en outre pas sans risque, et ce d’autant plus que la politique monétaire n’est pas étrangère à la montée des prix des actifs. Enfin, plus la masse de liquidités est grande, plus la taille des mouvements de capitaux d’un actif risqué à un autre est grande, ce qui peut être facteur de déséquilibre financier.

Figure 2 : Les risques financiers de la remontée des taux
Si on ne peut pas rejouer éternellement le même scénario et que celui-ci comporte des risques, alors pourquoi ne pas hausser à nouveau les taux ?
Pourquoi les taux ne remontent pas: l’irréversibilité de la politique monétaire

Figure 3 : les risques d’une remontée des taux directeurs
La remontée des taux directeurs menace d’abord les emprunteurs fragiles, c’est-à-dire ceux qui affichent les taux d’endettement les plus élevés, et dont la situation économique et financière est incertaine. La Banque centrale redoute les effets que cela engendrerait sur les États compte tenu de leur taux d’endettement ou sur les entreprises à faible profitabilité. La politique monétaire réduit en effet le risque de défaut de ces différentes parties prenantes sur leurs crédits.
La menace plane également sur les investisseurs et les banques qui ont accumulé des portefeuilles obligataires à coupons très faibles et qui subiraient des pertes considérables en capital en cas de remontée brutale des taux. Ainsi il existe de nombreuses raisons qui justifient le statut quo des banquiers centraux. Même si la politique monétaire expansionniste est à risque, la question de la sortie demeure entière.
Conclusion : “Plus jamais ça ! Les dirigeants économique et politique de la planète avaient été catégoriques, la politique monétaire expansive ne devait être qu’une phase, on ne les y reprendrait plus. (…) Lors de la crise de liquidité bancaire de 2009, ces politiques d’injections de liquidités avaient évidemment un sens. Il fallait empêcher la catastrophe” (Marie-Paule Virard).
Cependant le décor a changé et ce scénario vieux de onze ans ne peut plus être répété. La BCE devrait pour nous prendre la responsabilité de hausser les taux. En pastichant Marie-Paule Virard, il vaudrait mieux que cet ajustement soit le fruit d’un infléchissement résolu de la BCE que la conséquence d’une nouvelle catastrophe …” car la prochaine sera pire. »
Pour continuer :
-Par Jacques de Larosière (2019), Pourquoi la BCE doit changer de politique monétaire, in Les Echos, adresse URL: https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-pourquoi-la-bce-doit-changer-de-politique-monetaire-1155030
-Patrick Artus Marie-Paule Virard (2016) ,la folie des banques centrales, pourquoi la prochaine crise sera pire, Fayard
-Artus, (2020) Reviens Milton Friedman in Les invites du Point ; adresse URL : https://www.lepoint.fr/invites-du-point/artus-reviens-milton-friedman-30-10-2021-2449895_420.php