Par Alexis Renault
Les mouvements haussiers des prix de l’énergie de ces derniers mois, et plus particulièrement ceux du gaz et de l’électricité, semblent ne pas avoir de limite. En octobre 2021, l’indice des prix à la consommation global a augmenté de 2,6% sur un an et celui de l’énergie de 20,1%, participant au phénomène inflationniste du moment. Ainsi, quelles sont les causes de l’augmentation des prix de l’énergie et plus précisément des prix du gaz et de l’électricité ?
Le gaz : une pression sur la demande portée par la reprise et les restrictions russes
De mois en mois, les prix du gaz ne cessent d’augmenter comme le montre l’augmentation du tarif réglementé de gaz naturel hors-taxes d’Engie qui s’élevait à 13,9% par rapport au 1er septembre. Sans la mesure exceptionnelle du gouvernement gelant les prix du gaz, l’entreprise aurait même dû augmenter de 20,1% son tarif au 1er novembre par rapport au mois précédent. Cette hausse s’inscrit dans une longue période de bas prix et la correction de cette anomalie dans un marché de gré à gré se justifie à la fois par des facteurs de demande et d’offre.
En effet, du côté de la demande, la reprise économique post-covid portée par la Chine qui devrait dépasser les 6% de croissance annuelle en 2021 fait peser un poids considérable sur le marché du gaz. La grande dépendance des économies mondiales aux énergies fossiles se fait ressentir, la Chine pointant largement en tête du classement des pays pollueurs. Dans ce contexte, Pékin veut se détourner du charbon et s’oriente progressivement vers des énergies dites de transition dont le gaz en est le meilleur exemple.
Passer d’une énergie polluante comme l’est le charbon à une énergie moins polluante comme le gaz est un objectif clair de la Chine pour bâtir une « croissance verte et une civilisation écologique » pour reprendre les mots du Président Xi Jinping. En plus de la reprise économique, les aléas climatiques comme les sécheresses ou le manque de vent ont pour conséquence de tirer les prix du gaz à la hausse. D’une part, les centrales hydrauliques ne peuvent plus se reposer sur des ressources suffisantes en eau pour fonctionner et, d’autre part, les éoliennes ne peuvent plus être actionnées à cause d’un manque de vent dans certaines régions. Les différents pays doivent se reposer sur des énergies fossiles pour produire leur électricité, le gaz étant le meilleur compromis.
Par ailleurs, une pression conséquente de la Russie sur le marché contribue largement à la hausse du prix du gaz. Premier exportateur européen, la Russie et son leader Gazprom fournissent 40% de la consommation du Vieux Continent. Pour des raisons géopolitiques évidentes liées aux contraintes économiques imposées au pays et à sa situation problématique avec l’Ukraine, la Russie a décidé de maintenir le niveau de ses exportations et de ne pas satisfaire la demande croissante des pays importateurs post-pandémie.
S’en servant comme levier de pression face à l’Union européenne, cette position dominante révèle aussi les faiblesses et les dissensions au sein de l’UE sur le sujet de la dépendance énergétique. La situation remet au goût du jour le projet de gazoduc Nord Stream II reliant directement la Russie à l’Allemagne, premier pays importateur européen. Après la mise en service du projet, le transit du gaz russe en Ukraine passera de 80% à 20% et s’ensuivra d’une baisse proportionnelle des recettes pour le gouvernement ukrainien. L’affaiblissement de la position stratégique de l’Ukraine sur la scène régionale européenne sera alors encore plus criant.
Le paradoxe français de l’augmentation des prix de l’électricité : le marché communautaire
Bien que la France produise environ 70% de son électricité grâce à l’énergie nucléaire et ses centrales, le système d’ajustement des prix dans un marché européen commun implique aussi une hausse mécanique sur le territoire national. Depuis l’année 2000 et l’ouverture à la concurrence des marchés du gaz et de l’électricité, les prix de l’ensemble des pays européens sont dépendants et s’ajustent les uns aux autres pour n’en donner qu’un seul et unique. Ainsi, le mix énergétique européen étant composé en moyenne de 42% d’énergies fossiles, l’augmentation des prix du gaz augmente les coûts de production de l’électricité produite par les centrales qui utilisent cette source d’énergie.
Le facteur de demande principal est bien sûr la reprise économique qui impose aux pays producteurs un besoin en énergie considérable pour soutenir la croissance et œuvrer au rétablissement du tissu économique après la crise économique. Comme l’énergie européenne se constitue principalement de gaz et de charbon, l’augmentation des coûts de production due à l’augmentation de ces matières premières se répercute sur les prix français à cause du fonctionnement même du marché communautaire. De surcroît, après une décroissance de 3,3% en 2020, les prévisions de l’OCDE et du FMI prédisent une croissance de 6,0% en 2021 et d’environ 4,0% en 2022. La demande en électricité et donc en gaz n’est pas près de faiblir.
Une tendance haussière temporaire ou persistante ?
Des signaux encourageants peuvent être aperçus du côté de la conjoncture économique. Comme mentionné précédemment, la reprise économique post-covid et les difficultés d’approvisionnement des pays européens en gaz russe tirent les prix du gaz et de l’électricité vers le haut. Néanmoins, passée cette phase, les prix pourraient se stabiliser voire se rétablir avec une pression sur la demande moins importante. Toutefois, des causes structurelles nous prêtent à croire que la tendance haussière pourrait persister quand bien même. La volonté européenne d’accélérer la transition écologique dans la continuité des Accords de Paris de 2016 et des COP successives à partir de la COP21 de 2015 participerait à renforcer les prix des énergies fossiles.
L’augmentation du prix des quotas d’émission de CO2 en Europe impliquera une hausse des coûts de production de l’électricité basée sur l’énergie fossile. Avec le plan Fit for 55 ayant pour but de réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre au niveau européen d’ici 2030, un grand nombre de mesures de taxation vont être mises en œuvre. L’Union européenne voudra pousser les pays et les entreprises à utiliser majoritairement des énergies renouvelables dans leur mix-énergétique pour atteindre la neutralité carbone. De ce fait, des secteurs comme ceux de l’aviation, le secteur maritime ou celui de la construction vont devoir supporter des taxes importantes dans le futur pour les forcer à se transformer et à se verdir. Cette transition vers les énergies renouvelables semble être inévitable pour relever le défi écologique du siècle présent et l’UE compte agir en ce sens en imposant des taxes carbones toujours plus lourdes aux acteurs polluants de l’économie.