De Damien Richard
“Les négociations ne sont jamais faciles… C’est la nature du consensus et du multilatéralisme” déclare Patricia Espinosa, secrétaire exécutive des Nations Unies sur les changements climatiques, lors de la COP26 de Glasgow. Ce qui est cependant beaucoup plus difficile que les négociations, c’est le respect des accords issus de celles-ci. Car du fait de la pluralité d’Etats ayant des intérêts et des situations parfois très divergents, les accords internationaux sur le climat tels ceux énoncés lors des fameuses COP, ou conférences des parties, ont souvent bien du mal à être respectés.
Mais comment expliquer cette difficulté à tenir ces engagements, alors même que les rapports du GIEC, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, sont toujours plus alarmants et que les conséquences du réchauffement climatique se font déjà ressentir ?
Des processus économiques sous-jacents comme causes de cette difficulté
Le risque principal, à l’œuvre dès lors que l’on parle d’accords internationaux, est celui du passager clandestin. En effet, si la majorité des bénéfices liés à une baisse des émissions de CO2 profite au monde entier, les pays ne se sentent pas poussés à implanter des mesures car ceux qui les mettent en place prennent seuls en charge les coûts permettant d’atténuer le réchauffement climatique et sont les seuls à payer pour des bénéfices communs.
Dès lors, les différents pays ne sont pas incités à agir, mais plutôt à attendre que d’autres agissent, pour récolter les bénéfices de ces actions sans en prendre en compte les coûts. Jean Tirole, prix Nobel d’économie, écrit ainsi : “les bénéfices liés à l’atténuation du changement climatique restent essentiellement globaux et lointains, tandis que les coûts de cette atténuation sont locaux et immédiats”.
Les dangers du passager clandestin sont de plus renforcés par la problématique des fuites de carbone. Lorsqu’un pays décide de taxer les émissions de carbone, un bon nombre d’entreprises nationales perd en compétitivité, car la taxe représente un coût. De fait, c’est tout le pays qui perd en attractivité. Les entreprises sont ainsi incitées à produire dans des pays moins vertueux écologiquement. La tarification du carbone n’aurait pas le même effet si les accords internationaux prévoyaient un prix uniforme du carbone au niveau mondial, néanmoins seuls quelques pays et régions du monde ont instauré un tel système, comme les États-Unis ou l’Europe.
Les fuites de carbone s’illustrent aussi lorsqu’un pays décide d’augmenter son prix domestique de l’essence : l’effet sur son territoire sera certainement bénéfique pour le climat, seulement le cours mondial diminuera par le jeu de l’offre et de la demande et ainsi la consommation s’élèvera dans de nombreux autres pays.
Enfin, certains pays sont incités à retarder les réformes. L’histoire montre qu’un pays ayant une intensité carbone élevée sera en position de force lors des négociations, puisqu’il pourra exiger des plus fortes compensations. En clair, un pays qui pollue beaucoup est un pays qui peut exiger de fortes aides, monétaires ou non, de la communauté internationale puisqu’il devra fournir plus d’efforts pour respecter les accords. Cet arbitrage retarde aussi l’instauration d’accords pour limiter le réchauffement climatique et incite au statu quo plus qu’à l’action.
Des difficultés à financer la transition des pays en développement
Un des principaux enjeux des COP et autres négociations internationales reste la nécessité de la transition écologique dans les pays en développement pour maintenir le cap des « +2 degrés » à la fin du siècle. Cap qui s’éloigne de plus en plus mais qui reste, lors de la COP26, l’objectif prioritaire. La conciliation entre une forte croissance économique dans les pays en développement, pour répondre à des enjeux tels que la croissance démographique, et un besoin de contrôler et réguler l’activité humaine est ainsi un vrai défi.
Cette conciliation nécessite un fort apport de capitaux dans les pays en développement pour financer leur transition énergétique, sachant que ceux-ci sont les plus dépendants des énergies fossiles et ont souvent les plus forts taux de croissance démographique. Réduire la dépendance aux énergies fossiles dans les pays en développement nécessite une forte aide internationale, qu’elle soit publique ou privée.
Or, l’aide internationale reste insuffisante, et ce malgré l’engagement pris par les pays développés, lors de la COP21 de Paris, de créer un fonds alimenté à hauteur de 100 milliards de dollars par an pour assurer la transition écologique des pays en développement. Ce fonds n’est, à l’heure actuelle, pas encore opérationnel, et repose sur une promesse émise en 2009 et réaffirmée en 2015 lors de la COP21. Emmanuel Macron a néanmoins précisé dans le cadre du G20 de Rome que les sommes allouées aux pays en développement s’élèveront à 100 milliards de dollars pour 2025. L’engagement des pays développés reste ainsi d’actualité, bien qu’ayant pris un retard significatif.
La crédibilité d’un accord international
Les différentes COP ont pu permettre de réelles avancées, d’abord en reconnaissant le rôle des gaz à effet de serre dans le réchauffement climatique et en rassemblant les Etats du monde entier autour d’objectifs communs, puis par l’instauration d’outils tel le protocole de Kyoto entré en vigueur en 2005. Ces avancées sont nécessaires mais insuffisantes, les accords ne sont en effet pas assez crédibles.
Pour qu’un accord soit réellement crédible, les économistes évoquent généralement le fait que certains critères doivent être respectés. D’abord, l’accord doit être économiquement efficace, ce qui pourrait être atteint par la mise en place d’un prix du carbone uniforme à l’échelle mondiale. Cet accord doit aussi viser l’équité par le biais de transferts de ressources et de richesses vers les pays en développement. Enfin, des règles doivent inciter à respecter les engagements pour contrer le phénomène de passager clandestin, qui reste le principal obstacle au bon fonctionnement d’un accord international.