RCEP : l’expansion du modèle chinois


Par Alexis Renault

Réunion des négociateurs des pays candidats au RCEP en août 2020 (capture d’écran du ministre de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie du Japon)

Signé le 15 novembre 2020 et entré en vigueur le 1er janvier 2022, le Partenariat Économique Régional Global (RCEP) définit la plus grande zone de libre-échange au monde. Aboutissement de 10 années de négociation entre les pays de la région, le traité valide et renforce le développement économique de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique entamé au début des années 2000 et dont la Chine est le principal acteur. Cette nouvelle alliance, dans l’une des zones géopolitiques les plus intenses du globe, soulève des interrogations pour certains et suscite même de la peur pour d’autres. En effet, le partenariat accélérerait la dynamique de réajustement des pièces sur l’échiquier des puissances mondiales et placerait définitivement la Chine comme maître du jeu. Nous allons donc détailler la teneur de cet accord et la manière dont la Chine entend s’en servir pour imposer son modèle dans la région.

Un accord économique inédit

Comptant 15 pays signataires dont les pays membres de l’ASEAN (Association des Nations d’Asie du Sud-Est), accord de libre-échange déjà existant dans la région depuis 1992, le RCEP se compose aussi et surtout de 3 poids lourds économiques que sont la Chine, le Japon et la Corée du Sud (2ème, 3ème et 10ème puissance mondiale par PIB en 2021). Deux autres pays occidentaux se rajoutent à la liste du partenariat : l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La signature de l’accord intervient juste après une forte augmentation du commerce entre la Chine et les pays de l’ASEAN en 2020 passant même devant l’Union Européenne comme premier partenaire commercial sur les 8 premiers mois de l’année.

L’objectif de l’accord est de simplifier les procédures commerciales entre les pays membres en réduisant drastiquement les droits de douane à hauteur de 90% sous 10 à 15 ans, d’améliorer les chaînes d’approvisionnement existantes et d’en créer de nouvelles. L’harmonisation des règles d’origine devra aussi permettre une réduction conséquente de la charge administrative liée aux transactions entre les membres. Pour établir la certification produit d’origine, un seuil de 40% des composants provenant des pays du RCEP devra être atteint. Aussi, la facilitation du e-commerce par la non-imposition de droits de douanes sur toutes les transmissions électroniques constitue un chapitre à part entière de l’accord. Au niveau mondial, les pays signataires représentent 30% de la population (2,2 mds), 30% du PIB et 27% du commerce.

Représentation géographique des pays membres du RCEP au 1er janvier 2022. Source: Asia Times.

Se protéger de l’expansionnisme chinois

Pour l’Europe, l’impact à court-terme reste limité puisque le marché européen protège les pays qui y participent grâce, entre autres, à son marché intérieur et à ses propres traités de libre-échange avec différents partenaires dans le monde. Des barrières non-tarifaires comme des quotas d’importation et d’exportation, des licences, ou des normes environnementales, sont des leviers efficaces pour lutter contre la prolifération de la vente de produits qui ne se conforment pas aux règles en vigueur sur les marchés extérieurs visés. Par exemple, dans l’article de la Documentation Française sur les normes environnementales comme obstacles au commerce agricole et alimentaire, les auteurs stipulent que « 116 produits agricoles, sur un total de 878 [font] l’objet de mesures “environnementales” » (L. Fontagné, M. Mimoumi, 2001). L’UE peut alors continuer dans cette voie pour contrer les volontés d’exportation des pays membres du RCEP. En effet, aucun engagement ou critère environnemental n’a été ajouté au traité, de même qu’aucune mention n’a été faite sur le droit du travail.

De plus, alliée avec les Etats-Unis et le Japon, l’UE conteste le statut d’économie de marché de la Chine depuis 2001 et son arrivée dans l’OMC. Notamment, la pratique du dumping commercial qui permet aux exportations d’être vendues à un prix inférieur à celui des concurrents dans les pays importateurs est pointée du doigt. La remise en cause du modèle chinois et de son expansionnisme économique est aussi mise en évidence par l’Inde, pays initialement signataire du RCEP qui s’en est retiré au dernier moment. Le pays veut éviter le développement de l’influence chinoise dans son économie. La délocalisation de la production chinoise dans le pays, à la suite de l’augmentation du coût de la main d’œuvre sur le marché domestique, serait néfaste pour l’économie indienne. Le pays souhaite conserver son indépendance économique et garder la mainmise sur ses savoir-faire technologiques.

Donald Trump exhibant le document retirant les Etats-Unis du Traité Transpacifique, le lundi 23 janvier 2017 (REUTERS/Kevin Lamarque). Source: La Tribune.

Imposer son modèle au monde entier

Évidemment, comment ne pas percevoir dans ce traité l’objectif chinois de remplacement des Etats-Unis en tant que première puissance économique mondiale. Cet accord constitue un pied-de-nez envers le gouvernement Biden et surtout envers celui de son prédécesseur Donald Trump. En janvier 2017, lors de son premier jour d’exercice au Bureau ovale, l’ancien Président ratifie la sortie des Etats-Unis du Traité Transpacifique. Initié par Obama, il qualifie le traité de viol et fait tomber à l’eau l’espoir d’une alliance économique régionale entre pays frontaliers du Pacifique. La décision reflète alors la politique isolationniste américaine, protectionniste et ouvertement antichinoise promise lors de la campagne.

Cependant, l’accord s’est tout de même concrétisé sous le nom de Partenariat Transpacifique Global et Progressiste et aborde les sujets du droit du travail et de l’environnement contrairement au RCEP. Avec l’élection de Joe Biden, l’espoir n’est pas perdu que les Etats-Unis intègrent le traité un jour. Sous un objectif officiel de prospérité économique du pays et de la région, la Chine masque à peine ses ambitions de devenir la première puissance économique mondiale. Pour les 100 ans de la République Populaire de Chine en 2049, l’Empire du milieu doit devenir une puissance moderne. Cet objectif doit être atteint économiquement grâce au projet des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative) et aux traités comme le RCEP. Le softpower lui sert aussi d’instrument en faisant de ces pays limitrophes des alliés dans une stratégie d’extension circulaire de sa zone d’influence.

Le président chinois, Xi Jinping, lors de l’ouverture de la quatrième foire internationale des importations, à Shanghaï, le 4 novembre 2021 (LI XIANG / AP). Source: Le Monde

En conclusion, dans une zone qui génère déjà un tiers des échanges et de la richesse du globe, l’essor économique de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique induit par le traité dans les 20 prochaines années devra être observé avec attention. Le principal défi du RCEP sera de tirer les pays membres les plus pauvres vers le haut aussi bien économiquement que socialement et ne pas se reposer uniquement sur ses 3 leaders. Toutes les économies se méfient pour l’instant de cette nouvelle alliance mais pourraient bien sacrifier leurs intérêts à long-terme si elles persistent à vouloir limiter leurs échanges et notamment ceux avec la Chine. L’Union Européenne, comme l’Inde qui peut-être changera d’avis et rejoindra le traité, pourront voir le RCEP d’un autre œil à moyen-terme lorsque les graines de l’accord porteront leurs fruits et que les avantages économiques des échanges commerciaux se feront de plus en plus flagrants.

Sources:


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