Par Marie Ruschmeyer.
Le 8 février 2022, la Commission européenne a présenté le « Chips Act », un projet de loi sur les semi-conducteurs dont les objectifs principaux sont de rendre l’Europe moins dépendante des exportations de semi-conducteurs mais aussi de permettre à l’U.E de s’imposer à nouveau comme un acteur important dans ce secteur hautement stratégique. La Commission européenne prévoit de mobiliser 43 milliards d’euros pour ce plan et compte doubler la part de marché détenue d’ici 2030. Il s’agirait donc pour l’Europe de rejoindre cette course à la suprématie technologique dans laquelle elle est très largement distancée par les États-Unis et l’Asie. Comment ce plan va-t-il se décliner ? Est-il à la hauteur des enjeux ?
L’importance des semi-conducteurs
Les semi-conducteurs sont partout. On retrouve ces petites puces électroniques dans nos ordinateurs, smartphones, machines à laver, voitures mais aussi dans le matériel médical et dans des milliers d’autres objets. En effet, ils interviennent dans la fabrication de matériel électronique et sont donc indispensables à la fabrication d’une multitude d’objets que nous utilisons au quotidien. Sans puces électroniques, il n’y aura pas de transition écologique ni de transition numérique. De plus, les semi-conducteurs sont très importants pour les technologies utilisées dans le secteur militaire et garantir l’approvisionnement en semi-conducteurs constitue donc aussi un enjeu sécuritaire. Les semi-conducteurs sont essentiels à de nombreux secteurs industriels et constituent ainsi un enjeu technologique, numérique et donc économique.
L’évolution de la production mondiale de semi-conducteurs
Il y a trente ans, l’Europe était à l’origine de 40% de la production mondiale de semi-conducteurs et à présent elle ne représente plus que 10% de cette dernière. En effet, l’UE s’est volontairement désinvestie de la production de semi-conducteurs ce qui explique pourquoi elle dispose moins de moyens de production. Les leaders de l’industrie des semi-conducteurs sont Intel, Qualcomm, Samsung et Nvidia. Cependant, ces entreprises ne gèrent que les segments à forte valeur ajoutée dans le cycle de la fabrication des semi-conducteurs. En effet, elles ne s’occupent que de la recherche et de la conception de prototypes de ces produits et de leur commercialisation et externalisent la production des puces et c’est l’Asie avec ses fonderies qui domine quasiment le marché de la production des semi-conducteurs. Il n’y a que le leader américain, Intel, qui continue à produire ses semi-conducteurs. Intel a même pour projet d’investir 20 milliards de dollars cette année pour construire deux nouvelles fonderies dans l’Ohio. Cependant, c’est surtout la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) créée en 1987 qui avait saisi l’importance d’avoir sa propre fonderie et qui n’avait donc pas considéré les activités de fonderie comme un travail de sous-traitants. Depuis, TSMC a aussi continué à investir massivement dans la recherche technologique, ce qui fait qu’aujourd’hui elle arrive à produire la plus petite puce électronique et TSMC détient actuellement 52% des parts du marché mondial de la fabrication de semi-conducteurs. En Corée, on a Samsung, qui a développé sa propre fonderie et qui représente environ 20% du marché. La Chine, elle aussi, tente de s’imposer sur ce marché et pour cela elle a concentré ses efforts dans la Semiconductor Manufacturing International Corporation (SMIC) pour en faire un leader de la fonderie et représente environ 5% de ce marché. Si l’Europe ne possède pas les mêmes capacités de production que l’Asie, elle constitue tout de même un centre mondial de recherche en matière de semi-conducteurs. Parmi ces grands centres européens de recherche, on retrouve IMEC, LETI et Fraunhofer. Cependant, plusieurs événements récents ont fait comprendre à l’Europe qu’il n’était pas suffisant d’exceller en matière de recherche et développement mais que la dimension de la production était aussi primordiale.
Les tensions géopolitiques intervenant dans cette course technologique ainsi que les pénuries en semi-conducteurs dans le contexte de la pandémie ont fait prendre conscience à l’Union européenne de l’urgence de la situation
Certains facteurs ont contribué à faire prendre conscience à l’UE qu’il fallait à tout prix s’imposer sur ce marché des semi-conducteurs dont les ventes se sont élevées à 440 milliards d’US dollars en 2020 et dont on estime que le taux annuel de croissance va atteindre 5% au cours des cinq prochaines années. Pour commencer, l’escalade des tensions géopolitiques entre la Chine et les États-Unis a montré à quel point il était important de ne pas dépendre entièrement des exportations d’une région. En effet, si au début les Etats-Unis étaient contents d’externaliser les activités de fonderie vers l’Asie et donc vers la Chine, ils ont commencé à réellement s’inquiéter lorsque cette dernière a accentué ses politiques de développement industriel en concentrant notamment les investissements dans les semi-conducteurs afin de pouvoir développer leur propre fabrication. Cette volonté des Chinois de devenir auto-suffisants en matière de production de semi-conducteurs a provoqué une réaction américaine, les Etats-Unis ont décidé en 2014 d’arrêter les transferts technologiques vers la Chine. Depuis ce moment, les tensions n’ont fait qu’escalader et on a commencé à parler de guerre commerciale. Cette guerre commerciale a fait prendre conscience à l’Europe de la nécessité de ne pas trop être dépendant d’une région. De plus, la crise sanitaire et les pénuries en semi-conducteurs qu’elle a engendrées a contribué à souligner le caractère crucial de ces derniers et ont fait prendre conscience à l’UE de la nécessité de renforcer les chaînes d’approvisionnement. La crise a démontré qu’exceller dans le domaine de la recherche n’était pas suffisant et que la production était très importante.
Les nombreuses subventions dans le secteur des semi-conducteurs ont aussi poussé l’UE à proposer un projet de loi pour pouvoir être compétitive dans ce secteur. Pour l’UE, cela représente un changement assez important dans la politique de la Commission européenne. En effet, en général, la Commission européenne veille à ne pas trop subventionner les industries afin de favoriser la concurrence. Toutes ces subventions vont à l’encontre du libre-échange et des règles de l’OMC.
Les objectifs de ce plan européen
Actuellement, l’UE est très fortement dépendante des exportations de semi-conducteurs. Elle est dépendante à 80% des pays asiatiques (60% de Taïwan). Avec ce plan, l’UE a pour objectif de doubler sa production de semi-conducteurs d’ici 2030 afin de représenter 20% du marché mondial de semi-conducteurs. Cependant, comme il est estimé que le marché va doubler d’ici 2030, l’UE devra quadrupler ses capacités de production pour arriver à détenir 20% de ce dernier. Pour atteindre cet objectif, ce plan de 43 milliards d’euros va se focaliser sur trois axes stratégiques qui sont la recherche, les capacités de production et la diversification des sources d’approvisionnement. Les 43 milliards d’euros seront donc répartis différemment : 11 milliards d’euros seront consacrés à la R&D, 2 milliards d’euros seront distribués aux start-ups du secteur des semi-conducteurs et 30 milliards d’euros (provenant du plan de relance) d’aides publiques qui seront distribués aux industriels du secteur des semi-conducteurs. Ces 30 milliards d’euros pourraient aussi profiter à des acteurs étrangers comme Intel par exemple afin de les encourager à venir installer des usines de production sur le sol européen. Si l’UE entend favoriser l’implantation d’usines étrangères ou non de production sur son territoire, elle compte aussi bien préserver la sécurité de l’approvisionnement en se réservant la possibilité d’empêcher les exportations de puces électroniques en cas de crise. La Commission européenne compte aussi sur les investissements privés pour augmenter le budget.
Un plan trop peu ambitieux ?
Ce plan a pour objectif de rendre l’Union européenne moins dépendante des exportations de semi-conducteurs et non de la rendre autosuffisante. En effet, pour être auto-suffisante les 42 milliards d’euros ne suffiraient pas. On peut, par exemple, comparer l’European Chips Act au plan américain (loi Chips for America). Ces deux plans sont plus ou moins équivalents bien que les États-Unis soient déjà bien plus avancés que les Européens dans la course aux semi-conducteurs. Cependant, le plan est tout de même à relativiser par rapport à ce qu’il se fait dans les autres économies et particulièrement dans les économies asiatiques. En effet, TSMC qui est un leader taïwanais dans la production de semi-conducteurs prévoit d’investir 36 milliards d’euros, et cela, juste pour l’année 2022. La Chine, elle, a investi 150 milliards de dollars entre 2015 et 2025. On a aussi la Corée du Sud qui prévoit d’investir 430 milliards de dollars d’ici 2030 dans la R&D et la production. Si le plan européen représente une avancée majeure dans la course aux semi-conducteurs pour les Européens, les investissements qu’il prévoit restent trop faibles en comparaison avec ceux des économies qui devancent les Européens dans cette course.
Un dernier point que l’on se doit de souligner est la question des terres rares. Augmenter les capacités de production de puces électroniques en implantant des usines en Europe ne semble pas être un problème, cependant les métaux rares en sont un. En effet, les terres rares sont indispensables à la fabrication de semi-conducteurs. Or, la production de terres rares est majoritairement concentrée en Chine. Cette production de terres rares a des conséquences assez lourdes et leur prix augmente de plus en plus. Les terres rares pourraient ainsi constituer un obstacle pour l’Europe.