Par Amélie Brisset
À l’approche de la fin de l’année, retour sur l’une des opérations les plus médiatisées de 2022. L’achat de Twitter vient d’être finalisé mais fait déjà l’objet de controverses tant sur sa nature que sur celle du nouveau propriétaire. Les craintes sont partagées tant Outre-Atlantique que sur le Vieux continent et sont le résultat de l’ampleur croissante du rôle des nouvelles technologies sur l’humanité.
Retour sur une opération controversée
L’épopée d’Elon Musk démarre début 2022.
Janvier : Elon Musk démarre son offensive et achète de plus en plus de parts.
Avril : Musk devient le principal actionnaire après avoir acquis 9% des parts de Twitter. Lors de la publication de la nouvelle le cours de l’action augmente de manière exponentielle jusqu’à atteindre la hausse la plus importante depuis l’entrée en bourse de Twitter.
- 13 avril : Musk fait une offre à Twitter d’un montant de 43 milliards de dollars soit 100% des actions à 54,20 dollars.
- 15 avril : Twitter met en place un plan qui augmenterait le coût d’achat d’actions pour un investisseur ayant déjà plus de 15% du capital.
- 25 avril : Musk fait une offre 44 milliards de dollars.
- 26 avril : La valeur boursière chute de plus de 125 milliards de dollars.
Mai : Le businessman déclare que l’accord est en attente d’une enquête sur l’abondance de faux comptes et spams et qu’il pourrait être révoqué si leur part est trop importante. La valeur boursière de Twitter chute après cette déclaration. Les représentants du réseau social annoncent qu’ils feront tout le nécessaire pour que l’accord soit respecté, incluant des mesures judiciaires si nécessaire. Fin mai Twitter attaque Elon Musk au motif que ses agissements et dires perturbent le bon déroulé de l’opération. Ils suspectent une tentative de manipulation du marché afin de débourser moins que l’offre initiale.
Juillet : Après la publication du rapport sur la nature des comptes utilisateurs, Elon Musk fait marche arrière.
- 8 juillet : Musk annonce vouloir annuler sa proposition invoquant la violation de plusieurs clauses du contrat négocié.
- 12 juillet : Twitter engage des poursuites contre l’homme d’affaires dans le but de le forcer à conclure l’accord.
Octobre : Dénouement de l’affaire
- 4 octobre : Face à l’approche du procès, Elon Musk reformule une proposition d’accord, identique à celle du 25 avril.
- 27 octobre : L’accord officiel est signé, Musk licencie le PDG, le directeur financier, le directeur juridique et l’avocat général.
Novembre : Premières décisions
- 4 novembre : Début d’une première vague de licenciements par e-mail.
- 9 novembre : Sortie du nouveau service d’abonnement Twitter Blue qui certifie un compte moyennant 8 dollars par mois.
- 10 novembre : Déferlement d’apparition de faux comptes certifiés usurpant l’identité de personnes publiques.
- 11 novembre : Twitter Blue est rendu indisponible, une nouvelle version améliorée est promise pour fin novembre.
Une acquisition idéologique
Twitter n’a pas un modèle économique viable, sa rémunération est uniquement basée sur la publicité, ce qui n’en fait pas un investissement très intéressant pour un homme d’affaires. Il est donc légitime de se questionner sur l’intérêt d’Elon Musk d’acheter le réseau social, d’autant plus qu’il n’y a aucune synergie avec ses business actuels.
Elon Musk est très certainement l’utilisateur le plus aguerri de la plateforme, il y poste des mêmes à foison, commente actualités et évènements le plus simplement du monde et de manière très moqueuse. Il y est extrêmement suivi et ses tweets créent souvent de nombreuses réactions. En effet, il n’est pas rare que ses tweets soient à l’origine de vagues de haine ou même de variations économiques. Musk utilise Twitter pour véhiculer son idéologie quasi mystifiée et il y est ultra influent, il y tient plus un rôle de gourou que de leader.
A sa genèse, Twitter était utilisé pour interpeler ceux qui ont argent et pouvoir car tous les utilisateurs étaient mis sur un pied d’égalité. Twitter se différencie de ses concurrents d’autant plus car il n’a pas la même essence. Ce n’est pas le réseau social le plus utilisé mais c’est le plus politisé, par sa quantité d’hommes politiques tant que par le positionnement de ses débats.
Twitter est aujourd’hui le reflet de notre société bien plus que les autres réseaux sociaux. La parole y est plus libre et facilitée, notamment grâce à l’anonymat qui y est plus présent. C’est aussi un réseau moins modéré, ce qui provoque régulièrement des controverses. Il permet de prendre la température sur les enjeux importants pour la population, il a fait naître le mouvement Me Too et même la carrière politique de Donald Trump, témoignant ainsi des fractures sociétales.
A l’annonce de sa volonté d’achat, Musk a communiqué sur l’avenir de Twitter entre ses mains. Il prévoit d’en faire un lieu sans aucune censure, de chasser les bots et autres faux comptes et d’open-sourcer l’algorithme. Cette acquisition serait donc sa contribution à redonner au peuple sa liberté d’expression et non une recherche d’avantage économique.
Elon Musk se définit comme un absolutiste de la liberté d’expression et cette acquisition est en adéquation avec son idéologie et l’idée qu’il se fait de lui-même. Il est leader d’opinion et impose déjà sa vision. En effet, il n’a de cesse d’interférer dans les affaires politiques et ses activités de lobbying auprès des gouvernements américains sont très importantes. Sur l’échiquier politique, Musk se positionne au centre, il se dit « socialement libéral mais fiscalement conservateur » et ses activités de lobbying se sont faites tant auprès des Démocrates que des Républicains. Cela change depuis quelques mois, non satisfait de la politique de Joe Biden qu’il qualifie de « chiffe molle », il a appelé à voter Républicains et ses prises de positions s’intensifient à l’approche des Midterms. Sur le plan international, les satellites Starlink qu’il finance seul afin d’aider les soldats ukrainiens ou encore sa proposition d’annexer une zone administrative spéciale pour Taïwan le placent en qualité de diplomate de première envergure. Après de telles prises de positions, il est fondé de se questionner sur la neutralité de Twitter après le rachat d’Elon Musk, d’autant plus qu’il a licencié des employés ayant critiqué sa politique interne sur Slack le 14 novembre dernier.
Quel impact sur la société ?
En Europe, la liberté d’expression est modérée par les lois, ce que n’a pas manqué de rappeler le commissaire européen Thierry Breton, « en Europe, l’oiseau volera selon nos règles européennes » a-t-il tweeté en réponse à Elon Musk. En outre, le Digital Services Act (DSA) qui sera mis en place dans les mois à venir entérinera les nouvelles obligations des réseaux sociaux, ce qui inclue une modération quant au contenu désinformatif, violent et illicite. Le risque pour Musk étant de voir sa plateforme bannie en Europe.
Aux États-Unis, la liberté d’expression est bien moins bridée et le débat ne pourrait être ranimé car il s’agit d’un droit constitutionnel, il est donc inamovible.
Le risque d’une liberté d’expression à son paroxysme est d’observer fourmiller le contenu violent et désinformatif qui polariserait davantage encore les peuples. Certains experts craignent même une guerre civile. Ce phénomène ne toucherait pas uniquement les États-Unis mais tout le monde occidental nonobstant les outils de modération mis en place.
L’une des inquiétudes repose également sur le rôle devenu crucial d’Elon Musk. Aujourd’hui on ne saurait se passer de SpaceX, surtout aux États-Unis mais l’Europe n’a pas d’entreprise assez puissante pour lui faire concurrence. L’hyperpuissance de Musk et son rapprochement de pays qui ne sont pas des alliés diplomatiques des Etats-Unis réhaussent la défiance face à cette opération qui pourrait impacter le monde entier.