Covid et Moyen Orient : désastre ou opportunité ?


Par Mathilde Derambure

Confinements, fermetures des frontières, restrictions de déplacement, toutes ces mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire mondiale ont diminué notre consommation de pétrole qui a chutée de 8,8%, plus grand recul depuis des décennies : même durant la crise économique de 2008-2009 elle n’avait diminué que de moins d’1%. Le document ci-dessous illustre cette chute drastique.

Figure 1 : document tiré de l’iris qui a utilisé des données de l’US  Energy Information Administration, Short-Term Energy Outlook Data Browser (9 Février 2021) 

Ce choc de la demande a provoqué un recul des cours du pétrole, et mené a des excès historiques de production, conduisant les cours du WTI en Avril 2020 à devenir négatif pendant quelques heures, allant jusqu’à -37,6 USD et menant donc à une chute des prix. 

Pour éviter cet effondrement des prix du pétrole, l’Arabie Saoudite et l’OPEP avait demandé le 6 mars 2020 à l’OPEP + de réduire leur production de pétrole pour soutenir les prix, ce que la Russie avait vigoureusement refusé, menant à une dépréciation rapide. Des accords ont été trouvés peu après, sauvant les cours. La situation actuelle est similaire : ce jeudi 4 mars, la réunion de l’OPEP a mené à une hausse des cours du Brent de plus de 5% en vingt-quatre heures, et le WTI a retrouve sont plus haut niveau depuis le début de cette crise sanitaire. L’OPEP et surtout les pétromonarchies du Moyen Orient paraissent donc pouvoir faire remonter les cours et les prix, mais sur une période donnée, et pas de manière pérenne. Quelles conséquences donc pour le Moyen Orient de ces variations des cours et du prix du pétrole ? 

L’impact économique sur les pétromonarchies a été significatif. Prenons pour illustrer cela les chiffres de l’ambassade française pour Arabie Saoudite. Le secteur pétrolier a représenté en 2019 31% de son PIB et 80% de ses recettes d’exportation, et la relation entre croissance et PIB du secteur pétrolier est très marquée : lorsque le PIB du secteur pétrolier a baissé en 2019 (-3,6%), la croissance de l’Arabie Saoudite n’a été que de 0,3%, contre 2,4% en 2018. En partie pour cela, la Banque mondiale a prévu une récession de -3,8% en 2020 pour ce pays, malgré un plan de soutien massif à l’économie (environ 6% du PIB du pays), et une réduction de 10% des dépenses, un triplement du taux de la TVA, une suppression de l’allocation mensuelle de coût de la vie versée aux salariés de la fonction publique, et bien sûr, une augmentation du déficit budgétaire. 

Si cet impact est aussi fort c’est aussi parce que les grandes entreprises d’état dans le secteur pétrolier ont souffert de la crise. Toutes les grandes compagnies pétrolières ont déprécié la valeur de leurs actifs, et donc notamment les grandes entreprises d’état du Moyen Orient. Cela est visible dans le cours de la Saudi Aramco, qui a brusquement baissé entre mars et juin 2020, comme illustré ci-dessous. 

Figure 2 : cours de la Saudi Aramco selon Google.

Mais la situation est moins catastrophique pour les pays du golfe que pour les autres : grâce à leurs réserves de devises, des fonds souverains et en empruntant, les grands pays du Moyen Orient devraient sortir de cette crise sans catastrophes majeures. Mais ce n’est pas le cas d’autre pays : si Israël et les pays du golfe ont été parmi les premiers à vacciner, l’Iran ou la Syrie ont eu beaucoup plus de difficultés. La crise affecte ainsi énormément les pays les moins avancés de la région et accentue leurs difficultés. Cette fracture n’est pas sans conséquences pour les conflits et la géopolitique de cette région. 

Cette crise, par ces conséquences économiques, a en effet provoqué de grands changements au Moyen Orient, tout d’abord dans les économies et géostratégies mais aussi dans la géopolitique des conflits. 

Avant cette crise, les EAU rimaient avec tourisme, luxe et hub aéroportuaire, et le pétrole avait bien sur une place dans leurs revenus. Face à une crise qui a mis à mal tout le tissu économique, ce pays a fait un revirement total dans sa stratégie économique pour attirer des touristes et investissements indispensables. Ils se sont ainsi tournés vers l’innovation, notamment le transport autonome, l’impression 3D, et le développement de l’industrie. Les Émirats veulent aussi et surtout devenir un hub sanitaire, et développer le tourisme vaccinal en mettant en avant leur système de santé et un nombre impressionnant de vaccins. Cela semble être d’ailleurs devenu un de leurs outils politiques puisqu’ils ont récemment envoyé 1000 doses de vaccins gratuitement en Tunisie, pays qui avait des difficultés d’approvisionnement.

Si les EAU ont opéré une telle métamorphose c’est que sans cela leur économie aurait pu s’effondrer, ce qui aurait marqué un revirement dans toute la géopolitique du Moyen Orient. Cette dépendance entre économie et relations internationale a d’ailleurs été clairement illustré par la guerre entre l’Arabie Saoudite et le Yémen. Au début de la crise, quand les conséquences économiques ont été les plus importantes, l’Arabie Saoudite avait appelé à un cessez le feu face au Yémen. Aujourd’hui où les cours et le prix du pétrole sont remontés, le conflit a repris : la coalition dirigée par Riyad a récemment frappé la capitale sous contrôle rebelle. Pour les mêmes raisons semble-t-il, la Turquie devient plus audacieuse et semble décidée à profiter du désordre actuel en Irak, toujours menacé par une résurgence de l’EI et par la Covid-19, pour frapper la guérilla kurde du PKK, malgré l’opposition de l’Irak et de l’Iran. La situation devient ainsi explosive dans cette région, et ce d’autant plus que les relations entre Israël et l’Iran sont au plus mal. Le dernier événement en date est l’attaque d’un navire israélien perpétuée par l’Iran selon Netanyahu.

Un autre grand changement dans la géopolitique des conflits au Moyen Orient provient des conflits au sein même des pays notamment liés aux vaccins et à la crise économique. Au Liban, la livre a atteint un minimum historique : 10 000 livres valent un dollar. La dépréciation, l’inflation, la hausse de la dette publique et un défaut souverain d’un Eurobond, toutes ces conséquences ont menées à des manifestations massives dans tout le pays. Des rassemblements ont eu lieu à Beyrouth, Tripoli, à Saïda et dans la Bekaa. De même, la situation en Syrie pourrait évoluer : Damas énonce en effet que face à cette crise sans précédent, seul le gouvernement central peut protéger la population. 

            Cependant, si ces changements sont spectaculaires, la question est de savoir quelles seront les conséquences à long terme, et tout cela sera directement influencé par le marché de l’énergie. La structure des économies et l’origine des investissements pourraient ainsi changer au Moyen Orient. 

Entre 2018 et 2020, de nombreux gisements de gaz ont été trouvés le long des côtes turques, chypriotes et dans le bassin égyptien, de même que le long des côtes d’Israël et des recherches ont été menées sur celles du Liban. Certains gisements en Israël sont si importants qu’ils pourraient subvenir aux besoins du pays pendant plus de 60 ans. 

Ces découvertes impliquent une réelle opportunité, tant pour la production d’électricité, que pour l’industrie et le transport. Le gaz pourrait permettre de sauver l’économie du Liban et de réduire la dépendance des autres aux pétromonarchies. Cependant, pour que cela se réalise, il faut que les entreprises étrangères acceptent d’investir, et actuellement cela pourrait être risqué : si les cours ont remonté cela est certes dû a des actions des pays producteurs de pétrole mais aussi parce que la chute des cours permet historiquement de soutenir la croissance économique et d’alimenter la relance de la consommation. Mais quid du long terme ? 

Ainsi, si l’impact de la covid-19 va peu à peu s’effacer, la transition écologique, elle, va probablement aller qu’en s’amplifiant. Elle est en effet porteuse d’espoir de reprise de l’économie. Le monde pétrolier va ainsi devoir s’adapter à des tendances qui se sont affirmées pendant la crise telles que la révolution du télétravail, de la digitalisation, où même des changements dans les secteurs aériens, du tourisme ou de la culture. Selon l’AIE, la demande en pétrole devrait connaitre une stagnation après 2030 à un niveau de consommation inférieur à celui de 2019. 

La covid-19 ainsi provoqué de nombreux bouleversement au Moyen Orient, tant dans les économies que dans les conflits. Si les conséquences de la crise paraissent diminuer avec le temps pour les pays les plus développés, la situation reste aujourd’hui précaire pour le reste, et avec la révolution numérique et écologique, de nombreux défis restent à relever. Cette situation va être influencée par l’international. Si la politique de Trump relative au Moyen Orient était claire, celle de Biden va se dessiner dans les prochains mois, et la Russie va aussi devoir affirmer sa place : si elle veut aujourd’hui aider les pays du Moyen Orient, elle n’en a aujourd’hui pas les moyens. Le Moyen Orient parait ainsi être à a croisée des chemins. 


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