Écrit par Mathilde Derambure.
Au début du XXème siècle, l’Argentine possédait un niveau de vie comparable à celui de l’Europe ; aujourd’hui, ce pays est déclaré pour la cinquième fois de son histoire en défaut de payement. Cet exemple illustre parfaitement le parcours économique de l’Amérique latine qui semble suivre une courbe inverse de celle de l’Asie. Ainsi, alors que cette région semble décoller à partir des années 80, c’est un effondrement économique sur les mêmes années en Amérique Latine.
Pourquoi, alors que l’Amérique latine présente des richesses et des avantages économiques certains, n’a-t-elle pas alors connue un essor économique comparable à celui de l’Asie ? Quels facteurs expliquent des développements si différents ?
Le premier facteur explicatif provient de politiques économiques insoutenables en Amérique Latine avant les années 1980, qui ont semé le terreau de la crise. Si tout comme en Asie l’Amérique Latine a commencé son insertion dans le monde par une industrialisation par substitution aux importations (ISI), des barrières tarifaires élevées et des taux de change surévalués pour protéger l’économie locale, elle n’a pas basculé vers l’industrialisation pour l’exportation (IPE), facteur de la gloire économique de l’Asie.
Les structures primaires agricoles et minières, beaucoup plus importantes en Amérique Latine qu’en Asie, l’en ont en effet empêchée, la rendant moins compétitive puisqu’elles ont poussé les salaires de l’industrie vers le haut (attirer des employés demandant plus d’efforts), ce que l’absence de réformes due à la faiblesse des appareils étatiques a accentué. Ainsi, si une réussite économique a été possible grâce à l’ISI, le fait de ne pouvoir continuer avec l’IPE a empêché suivre une réussite économique sur le modèle asiatique.
Un autre exemple de politiques insoutenables des années 1980 est un financement international important dus à l’argent des pétrodollars. Comme l’Amérique latine connaissait une bonne situation économique, elle servait à recycler cet argent. Cependant, l’arrêt brutal de ces financements à cause d’une crise économique, ajouté à un resserrement brutal de la politique monétaire des États-Unis, a mené à une crise de la dette en Amérique latine. Par conséquent, cela a signé la fin de l’essor économique et le début d’une période compliquée.

Le consensus de Washington, réponse à la crise de la dette des années 1980, est une parfaite illustration du second facteur explicatif des différence de développement économique entre l’Asie et l’Amérique latine. En effet, il repose sur une gestion politique, économique et sociale contradictoire de la crise.
Ainsi, si le consensus de Washington a permis de réduire la dette extérieure, il a aussi engendré inflation, dévaluation et pauvreté et sans aucun impact sur la croissance même à moyen terme car, selon le FMI, aucune ou peu de réformes en profondeur ont été menées.
Dans le schéma ci-dessous illustrant les facteurs explicatifs de l’essor économique en Asie, nous pouvons voir que la faiblesse de l’appareil étatique, l’absence de réforme agraire, la fin des financements et la surévaluation de la monnaie sont autant de faiblesses courantes jamais réformées en Amérique latine qui ont pénalisés la croissance et le développement dans cette région du monde puisqu’elles se sont révélées être des facteurs de croissance et de développement.

À ces facteurs, se rajoutent des facteurs politiques. Selon Easterly et Levine, la politique est ainsi plus importante à long terme que les politiques économiques. Le problème étant que dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale, il n’y a aucun pays latino-américain dans le top 30, les facteurs posant problèmes étant notamment le paiement des impôts, le respect de la loi et le contrôle de la corruption, autant de facteurs relevant de la gouvernance étatique.
Une autre faiblesse souvent présente en Amérique latine vient de la reproduction sociale, qui passe avant la production économique. La fiscalité en est d’ailleurs représentative : la TVA est la même pour tous, l’impôt sur les bénéfices est lourd, complexe et mal mis en œuvre et l’impôts sur la fortune est mal réparti : on atteint très vite le maximum, ce qui fait que les familles les plus aisées ne paient que peu de cet impôt et qu’au contraire des familles pauvres paient beaucoup par rapport à leurs revenus.
Toutes ces difficultés ont gêné l’Amérique latine pour s’intégrer dans l’économie mondiale durant cette période, d’autant plus que l’Asie a acquis une place très importante, contre laquelle se poser en compétiteur est difficile, et que la proximité avec les États-Unis se révèle parfois contraignante.
Le troisième facteur explicatif des différences de développement provient de l’héritage économique laissé par la crise des années 1980 et des orientations économiques prises, bien que cela a paru marcher dans un premier temps.
Ainsi, entre 2014 et 2013, l’Amérique latine a connu une décennie dorée. Elle avait ainsi une croissance annuelle de 4,2% en moyenne due notamment à une intégration régionale de plus en plus forte (création ou élargissements de l’ALBA, ALENA, MERCOSUR, banque du Sud), à une extension des zones franches comme au Salvador, Costa Rica ou Mexique (maquiladoras) et a une multiplication des accords avec la Chine, les États-Unis et l’Europe.

Mais depuis 2013, une crise perpétuelle semble frapper le continent. Cette région est tout d’abord frappée par le contrecoup de la crise des pays développés, qui a provoqué une remontée du dollar et des taux d’intérêts. Cela a conduit à un retour de la dette, alors même que la Banque du Sud était encore trop faible pour y pallier.
La primarisation de l’économie rend aussi les pays latino-américains vulnérables aux cours du marché : le Chili dépend par exemple beaucoup du cours cuivre, que la crise commerciale entre les États-Unis et la Chine a beaucoup impacté. Le tourisme représente aussi une part non négligeable dans certaines économies latino-américaines, les rendant de même très vulnérables.
Ces difficultés économiques ont de plus généré des contestations sociales en 2019-2020 à travers toutes l’Amérique latine, dont le Venezuela est le meilleur exemple. Une vague rouge a mené au pouvoir Chavez pour pallier celles-ci (bien qu’il n’ait pas diversifié l’économie mais a profité d’une hausse des cours du baril) et aujourd’hui la crise migratoire et politique dont souffre le pays et aussi due, entre autres, à une situation économique très dure.
A l’époque du coronavirus, de nouvelles difficultés sont apparues. L’Amérique latine connait ainsi la pire récession économique de ces dernières décennies : la Cépal évoque -9,1% et FMI -9,4% de croissance économique sur l’année 2020 et la Banque mondiale prévoit une baisse du PIB régional de -7,9% en 2020.
Cela provient du fait que ce sont les PME, entreprises les plus à risque actuellement, qui en Amérique latine assurent 60% des emplois : chômage, inégalités et pauvreté sont ainsi en augmentation et font craindre une pandémie de la faim. Selon la Cepal (commission de l’ONU), 2,7 millions d’entreprises et 8,5 millions d’emplois en Amérique latine devraient disparaitre. De plus, la crise des partenaires de l’Amérique latine a engendré des multiples conséquences négatives, mettant en avant une dépendance vis-à-vis de la Chine et des États-Unis.
L’effondrement des remises, qui représentent entre 10 et 30% du PIB au Salvador, Guatemala, Honduras et Nicaragua empirent aussi cette tendance, de même que la chute des investissements étrangers. Ceux-ci devraient chuter de 45 à 55% en 2020 en Amérique latine selon le Cepal.
Cependant, si les chiffres de la crise sont impressionnants, beaucoup espèrent une récupération économique relativement rapide. Ainsi, la reprise de la Chine va augmenter les importations de matières premières, et peut être raugmenter son niveau d’investissements à l’étranger et donc notamment en Amérique latine.
À cette nouvelle positive, se rajoute le vent de changement qui semble souffler en Amérique latine. La lutte contre la corruption semble s’intensifier : toujours plus de politiciens sont accusés ; l’élection de Fernandez en Argentine a permis une lutte plus âpre contre la pauvreté et un redressement économique ; le Brésil s’attaque à sa fiscalité pour la rendre moins coûteuse pour les entreprises. La Banque mondiale ainsi une reprise possible d’environ 4% en 2021, d’autant plus probable si comme elle le souhaite la dette des pays émergents est allégée.
L’essor de la finance verte pourrait aussi jouer un rôle de sauveur : la Banque mondiale et HSBC lancent un fond vert pour les émergents. En plus de permettre un développement plus sain, cela pourrait aussi aider à conclure l’accord UE-Mercosur car la France est opposée au projet principalement à cause des conséquences environnementales de celui-ci. Ainsi, si l’Amérique latine connait de nombreuses difficultés, de nouvelles notes d’espoir sont apparues récemment.