La dette publique : l’élément absent des débats publics


Par Cassandra Duhamel

Source : Insee

« Les débiteurs sont toujours des incurables optimistes ». Cette leçon, enseignée par Jacques Attali dans Tous ruinés dans 10 ans, Dette publique la dernière chance, se reflète dans le programme électoral gagnant. Suppression de la redevance télévision (environ 3 milliards d’euros), maintien de l’aide pour le carburant, assouplissement des droits de succession, abrogation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (7 milliards d’euros), une liste de dépenses qui donne le sentiment que le « quoi qu’il en coûte » mis en place pendant la crise sanitaire pourrait se prolonger encore un peu, rapportant au mandat suivant la question des finances publiques. 

En effet, il est passé le temps de l’orthodoxie libérale qui a longtemps condamné toute tolérance à l’égard d’un déséquilibre même temporaire des finances publiques. Même au moyen d’une utilisation massive de l’épargne des administrations publiques, au 4e trimestre de 2021, la dette publique atteint le pic de 116 points de P.I.B, la charge de la dette de l’État, soit l’ensemble des dépenses de l’État consacrées au paiement des intérêts de sa dette, pour 2021 est à 38,2 milliards d’euros, et représente le 4e poste de dépenses de l’État. 

Malgré le poids qu’exerce l’augmentation de 600 milliards d’euros en cinq ans de la dette publique, sur le second quinquennat, la question de l’évolution de cette dette n’a pas été au centre du débat politique. Or, la dette publique a une grande force déstabilisatrice. Après un certain cap d’endettement, des désordres économiques, sociaux, voire politiques, peuvent apparaître. « On finira par la payer d’une façon ou d’une autre ».

Point actuel sur la dette

La dette publique a augmenté de manière quasi continue depuis le début des années 2000, avec une hausse exponentielle en période de crises, pour atteindre des niveaux inédits en 2021. L’État porte la plus grande part de cette dette en raison de déficits récurrents depuis 40 ans, de la charge de la dette en augmentation, et dans son rôle interventionniste de sortie de crise. 

Dans une moindre mesure, la dette de l’ensemble des autres sous-secteurs des administrations publiques, administrations de sécurité sociale et administrations publiques locales, composantes de la dette publique d’après le Traité de Maastricht, a également augmenté au cours de la période.

Elle reste une exception pour quatre raisons. 

Par son niveau. Trois chiffres permettent de témoigner de l’envolée de la dette publique dès la fin du XIXème siècle. Si en 1974 la dette représentait 10 points de P.I.B, elle passe de 40 points en 1990, puis de 119,8 en décembre 2020.

Puis par son origine qui découle plus d’un déficit permanent, y compris durant les périodes de reprise, qu’un soutien de sortie de crise. 

Ensuite, par son utilisation, aussi, puisqu’elle ne finance pas des investissements, mais des dépenses courantes et des transferts sociaux qui mobilisent 34 % du PIB. 

Enfin, par le niveau record des dépenses publiques (59,2 % du PIB) et des prélèvements obligatoires (44,5 % du PIB), qui limitent la croissance potentielle et ne laissent très peu de marge de manœuvre pour la réduire.

la dette publique, un facteur de risques…

… POur la cohérence de la zone euro

Or, la dette à un fort pouvoir déstabilisateur notamment pour les politiques économiques. C’est pourquoi elle devait être encadrée législativement dans le cadre de la zone euro. En effet, pour assurer la stabilité de la zone euro, celle-ci devait s’ériger sur des règles communes de politiques économiques permettant alors une homogénéisation de certains édifices économiques au sein de la zone (taux de change, inflation…). 

La régulation du déficit public et de la dette publique fait partie de ces règles. Le Traité de Maastricht imposait alors que le déficit public d’un pays ne dépasse pas 3 points de P.I.B et que la dette ne dépasse pas 60 points de P.I.B. Le Traité d’Amsterdam, quant à lui, devait pérenniser cette convergence en sanctionnant tout dépassement après admission dans la zone euro. Or, force est de constater qu’une convergence ne s’est pas effectuée.

La France a désormais basculé dans le camp des pays méditerranéens, caractérisés par la sous-productivité et le surendettement public. Un fossé les sépare de l’Allemagne, de l’Europe du Nord (55 % du PIB pour les Pays-Bas et 20 % pour l’Estonie) et de l’Est (45 % du PIB pour la République Tchèque, 24 % pour la Bulgarie). Cette situation mine la crédibilité de notre pays et sa capacité à peser sur l’indispensable réorientation de l’Union vers la sécurité. 

… Pour les politiques sociales à suivre

Le poids de la dette restreint également l’État dans son rôle d’État Providence. Lorsque la dette est élevée, l’État consacre non seulement davantage de ses recettes au remboursement de la charge de la dette, mais ne peut également plus utiliser dans la même ampleur les outils de relance budgétaire.

L’histoire de la dette nous a prouvé qu’il existe huit solutions à une dette publique excessive, mais nombreuses d’entre elles ne sont pas compatibles avec un soutien social : hausse des impôts, regain de croissance, taux d’intérêt bas, moins de dépenses notamment sociales, une inflation généralisée des prix, une guerre, une aide extérieure ou prêter à défaut.

Tous ces moyens ont été utilisés pour résorber la dette et aucune autre solution n’existe. Le meilleur antidote à la dette reste la croissance. Mais celle-ci ne peut plus être tirée uniquement par la consommation financée par la dette publique. Ainsi, la situation économique ne permet pas de miser sur un retour d’une croissance suffisante.

Le revirement sera donc fait, à terme, sur les dépenses sociales ou sur une hausse des impôts, des mesures d’autant plus brutales que la dette continuera à croître, ainsi le bien-être du consommateur sera impacté. Le dicton est connu « la dette publique est une créance des générations actuelles sur les suivantes, lesquelles finissent toujours par payer d’une façon ou d’une autre ».

J. Attali dictait cette leçon « pour que la dette souveraine soit correctement gérée, il faut dans tous les cas et toutes les situations la faire connaître (…), la capacité de faire savoir à l’opinion publique les exigences du long terme, d’énoncer les menaces de l’avenir ; d’être provisoirement impopulaire ». Or l’endettement de la France continue de franchir les seuils d’alerte, sans que ces effets ne soient médiatisés.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *