La finance verte : marché prometteur ou illusion ?


Au cours des dernières années, l’urgence climatique et la dégradation de notre environnement naturel ont pris une certaine importance dans les débats politico-économiques, au point de devenir la préoccupation majeure du XXIème siècle. Dans de multiples domaines, l’activité humaine est bloquée dans un mode de consommation fortement polluant, et la finance ne fait pas exception à la règle. Depuis un peu plus d’une décennie, les organisations internationales ont mis en place de nouveaux outils pour faire émerger une finance qui se voudrait plus verte.

En 2007, la Banque Européenne d’Investissement (BEI) a émis le tout premier “Green Bond”, ce qui a marqué le début d’un nouveau système financier. Celui-ci veut encourager la notion de développement durable sur laquelle les États développés tentent désormais d’appuyer leur modèle économique. La finance verte est une notion qui définit les actions et opérations financières favorisant la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique. L’un de ses piliers est l’obligation verte (en anglais green bond), qui adopte le même système de fonctionnement qu’une obligation classique. Sa nature de titre de créance négociable fournit un intérêt (dit coupon) à son créancier, à la seule différence que les fonds empruntés servent à financer des projets à vocation écologique.

Depuis le début du XXIème siècle, il est indéniable que la finance se veut de plus en plus soutenable. Marquée par le réchauffement climatique et l’approche du tant redouté Peak Oil (le moment où l’extraction mondiale de pétrole aura atteint son niveau maximal avant de décliner irrémédiablement), la finance verte semble être le seul système financier adéquat et capable de relever les défis contemporains de ce monde.

Tout d’abord, nous faisons face aujourd’hui à une catastrophe climatique, une situation qui ne s’arrange guère en raison de la prépondérance des industries et entreprises polluantes. Or avec l’apparition des obligations vertes, les entreprises à caractère écologique sont de plus en plus mises en avant et les projets verts sont financés autant que possible. Parmi les grands projets soutenus par les green bonds : le Grand Paris Express. Avec plus de 200 kilomètres de réseau, c’est le plus grand projet d’infrastructure en Europe. À terme, quatre lignes de métro électrique supplémentaires vont être créées, deux lignes déjà existantes seront prolongées (ligne 11 et ligne 14), et 68 gares seront construites ce qui va permettre l’émergence de nouveaux quartiers aux alentours. De ce fait, la finance verte permet l’apparition de nouveaux projets à vocation écologique qui soutiennent la lutte contre le réchauffement climatique.

De plus, la finance verte répond à l’un des critères fondamentaux de la finance, à savoir la rentabilité. En effet, la rentabilité d’une entreprise est la préoccupation majeure de tout investisseur sur les marchés financiers. Dans le cas de la finance verte, il y a un engouement réel dû à la prise de conscience des enjeux climatiques et environnementaux. Cela incite les investisseurs à lier dans leurs choix opportunités financières et risque planétaire.

En janvier 2017, la France a émis ses premières obligations vertes à un taux de 1,75%. En parallèle, Albioma, un producteur d’énergies vertes à forte croissance, a mis à contribution ces green bonds. L’acquisition de ces derniers a permis à l’entreprise de proposer à ses actionnaires un rendement des dividendes augmenté de 3,5%, tout restant soucieuse d’un mode de fonctionnement écoresponsable. Un système financier international plus vert semblerait alors être la solution la plus efficace pour assainir les marchés financiers internationaux, dans la mesure où les entreprises financées se retrouveraient dans la capacité d’agir en faveur de l’environnement, tout en poursuivant leur quête de profit.

La finance verte, bien que largement porteuse de promesses et d’espoirs quant à la lutte pour la préservation de notre environnement, semble toutefois confrontée à plusieurs difficultés structurelles, qui font que cette dernière apporte à la cause climatique un soutien bien moins important que nous ne pourrions le croire.

En effet, plus d’une décennie est passée depuis le lancement des premières obligations vertes, qui ont connu un fort succès et provoqué l’engouement sur les marchés financiers au cours des dernières années. Malgré cette hausse exponentielle d’émissions, leur poids reste insignifiant comme le souligne Frédéric Gabizon, responsable pour le marché obligataire chez HSBC France : « A ce jour, les émissions d’obligations vertes pour 2018 atteignent 156,8 milliards de dollars, soit environ 2% de l’encours mondial obligataire ». Leur efficacité semble donc encore questionnée, de par leur faible utilisation sur les marchés financiers dans leur ensemble.

Une autre difficulté de la finance verte est son manque de transparence évident. Cela est dû à l’absence de définition standard de ce qu’est une obligation verte et de ce qu’elle peut ou ne peut pas financer, ce qui peut à terme susciter des situations d’aléa moral de la part des entreprises, qui en d’autres termes, peuvent être tentées de se financer et de contourner les règles financières, sous prétexte d’agir en soutien à la cause environnementale.

Le cas de l’entreprise Engie qui a émis en 2014 une obligation verte pour un montant total de 2,5 milliards d’euros illustre parfaitement ce problème : en plus d’être une des entreprises françaises les plus polluantes, Engie aurait utilisé cette obligation verte pour financer les grands barrages qu’elle construisait alors en Amazonie (Jirau, bassin du rio Tapajós, etc.) à l’impact écologique important. Pour pallier ce problème, certains pays, tels que la France, l’Allemagne ou le Luxembourg, ont mis en place des labels de finance responsable dans l’optique de crédibiliser les fonds et de mieux renseigner les investisseurs. Malheureusement, le nombre d’investissements s’écroule dès que l’on exige plus d’informations et de transparence. D’après Le Monde, l’investissement certifié ne pèse que 62 milliards d’euros sur les 1 458 milliards de l’investissement dit responsable en France, ce qui laisse à penser que l’investissement à pur but écologique et environnemental n’est qu’un mirage nous laissant penser que les marchés financiers ont pris le virage écoresponsable tant attendu depuis ces dernières années.

La finance verte semble donc prometteuse, et se porte garante d’une action financière écoresponsable qui tendra à se renforcer dans les années à venir. Malgré les quelques difficultés auxquelles elle doit faire face, elle pourrait très prochainement devenir un concept clé du système et des marchés financiers internationaux. Dans ce but, la finance soutenable doit être correctement encadrée de mesures unilatérales efficaces visant à augmenter l’efficience d’outils tels que les green bonds. Ces derniers pourraient alors gagner en transparence et contribuer à verdir une finance qui en a besoin, au vu du contexte environnemental actuel.

écrit par Ilyass Kessa & Paul Lapeyre


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