Nombreux étudiants de tous les horizons (université, école de commerce, école d’ingénieurs) pensent que la France n’offre plus autant de perspectives en termes d’emploi et que l’accès au marché du travail est de plus en plus difficile. L’idée communément admise est que le marché du travail est plus porteur chez nos voisins Allemands, Hollandais, Britanniques ou encore outre-Atlantique ; c’est en tout cas ce que les statistiques nous disent.
Mais nos marchés du travail sont-ils identiques ? Peut-on faire une comparaison simple et dire « Les Américains ont 3% de chômage, en France il n’y a pas d’avenir. » ?
La première chose que nous devons faire, c’est utiliser la même échelle pour mesurer le chômage entre les pays. En effet, dans les médias Français, on parle souvent de « chômeur de catégorie A ». Selon l’INSEE, un chômeur de catégorie A doit :
• Être sans emploi
• Être en recherche active d’emploi
Au 3ème trimestre 2019, le taux de chômage en France selon la catégorie A s’élevait à 8.6%.
Cependant, quand les statistiques des pays étrangers sont présentées d’après les chiffres du Bureau International du Travail. Au sens du BIT, un individu au chômage :
• Est sans activité professionnelle
• En recherche active
• Disponible sous quinze jours
Selon le BIT au 3ème trimestre, le taux de chômage est de 8.2%. Une légère différence de méthodologie peut faire varier les résultats.
Nous comparerons donc les taux de chômage au sens du BIT.
Les USA : l’eldorado de l’emploi ?
Aux Etats-Unis, le taux de chômage en 2019 s’établit autour de 3.6%. Cela fait rêver. Mais comment Donald Trump a-t-il réussi à ramener le plein-emploi aux Etats-Unis ?
Tout d’abord, rendons à César ce qui est à César. La baisse massive des impôts a créé de la croissance, ce qui a permis de créer de nombreux emplois. Cependant, ces créations d’emplois sont assez artificielles. La baisse des impôts a été principalement financé par de la dette. Si les américains peuvent se permettre de recourir massivement à la dette, ce n’est pas le cas des pays européens, qui ne disposent pas d’une monnaie qui constitue plus de 65% des réserves des banques centrales à travers la planète. Les USA, eux, peuvent faire tourner la planche à billet, presque sans limite.
A cela s’ajoute un phénomène démographique : le part des personnes actives aux USA chute depuis plusieurs années. En cause : un vieillissement de la population, et une sortie d’un marché du travail et des statistiques de nombreuses personnes après 2008. Cela à contribuer à faire baisser le nombre de personnes disponibles sur le marché du travail, et donc à faire baisser le taux de chômage. A titre d’exemple il est passé de 66% en 2008 à 63% en 2019.
Une des autres raisons de la hausse du nombre d’inactifs (personne non disponible pour travailler et qui n’est pas en recherche d’emploi), est l’explosion de personnes accros aux opioïdes. C’est une véritable épidémie outre-Atlantique. Plus de la moitié des hommes invalides, le sont car ils sont handicapés physiquement ou malades. Les opioïdes sont une solution « miracle », pour réduire la souffrance et les douleurs de ces individus. Cependant, ce n’est pas sans conséquences : en 20 ans, plus de 400000 Américains en âge de travailler sont morts à cause d’une overdose aux opioïdes. C’est un véritable problème de santé publique aux USA. Si c’est un phénomène avec un impact marginal sur le marché du travail , il impacte toute la société et rend aussi la population active plus fragile.
A cela, on peut ajouter certains modèles conservateurs qui ont la vie dure : 60% des femmes inactives en âge de travailler, ne travaillent pas pour rester à la maison et s’occuper du foyer. Cela fait sortir de nombreuses personnes du marché du travail.
Enfin, dernier élément, le système américain est beaucoup plus flexible. L’embauche, le licenciement sont plus faciles, la faible protection sociale réduit le coût du travail, le salaire minimum n’est pas fédéral, ce qui permet un ajustement facile pour les entreprises, le temps partiel est courant, les « bullshit jobs » , ou emplois demandant peu de qualifications mais ont aussi un niveau de salaire très bas, sont courants car le coût du travail est faible. On peut parler de ces emplois dans la restauration rapide ou la distribution, où l’emploi est à temps partiel, et où le salaire horaire est inférieur a 5$/heure. En France, le SMIC constitue une protection contre la pauvreté, mais pourrait potentiellement détruire des emplois qui ne sont pas assez productifs pour ce niveau de salaire.
Cependant n’oublions pas un chiffre : selon The Economist : 12% de la population américaine vit sous le seuil de pauvreté fixé à 50% du revenu médian, soit 24000$ pour une famille de 4 personnes, ou 11787$ pour une personne seule. Avec un plein-emploi, étrange d’avoir autant de pauvres non ?
L’Allemagne : notre voisin qui a si bien réussi.
La comparaison avec notre premier partenaire commercial est parfois rude. On entend à longueur de journée, qu’ils sont meilleurs dans l’industrie, meilleurs pour gérer leur budget fédéral, de meilleurs travailleurs, qu’ils ont moins de chômage…
Que savons nous sur ce voisin qui nous montre tous les jours qu’il a moins de chômeurs que nous et qu’il est plus « riche » que nous ?
Après la réunification dans les années 90, l’Allemagne était considérée comme « L’Homme malade de l’Europe » : 11% de chômage en 2005, et une croissance en dessous de la moyenne européenne. C’est pour cela qu’en 2003 et 2005, des réformes visant à flexibiliser le marché du travail voient le jour en Allemagne, sous le nom de « Reformes Hartz ». Il s’en suivra d’autres réformes libérales : Flexibilisation du temps de travail, mobilité, adaptabilité des salaires, révisions du montant des allocations chômage et leur durée, licenciement facilité,
soutien aux entreprises, négociations décentralisées. C’est une réforme très dure pour les travailleurs, mais considérée comme nécessaire pour sortir le pays de ce mauvais pas.
Le résultat de ces reformes 15 ans après : un taux de chômage à 4.5% en moyenne sur 2019, une dette publique qui respecte les accords de Maastricht, des excédents commerciaux qui crèvent le plafond et …. 10% de travailleurs pauvres !
Si ces réformes ont permis de trouver un travail à tout le monde, elles ont raté la promesse de permettre à chacun de vivre décemment de son travail. Et n’est-ce pas le but premier d’un emploi ?
En Allemagne, 22.5% des travailleurs sont considérés comme des travailleurs « à bas salaires » contre 7% en France. Plus de 20% des Allemands occupent des emplois précaires contre 12% en France. Enfin avec des seuils de pauvreté fixés à 50% du revenu médian, 10% des Allemands gagnent moins 1090€/mois contre 7.1% pour les Français qui gagnent moins de 850€/ mois. Les seuils de pauvreté sont différents car le salaire médian national est différent, mais la proportion de pauvre est 41% plus élevé en Allemagne qu’en France.
De plus, l’Allemagne vit une crise démographique, qui tend à faire baisser sa population active. Qui dit moins d’actifs disponibles, dit moins de chômage.
Si l’Allemagne présente des résultats économiques excellents, cela se fait détriment de sa classe populaire, qui certes a un emploi, mais est plongée dans la pauvreté et la précarité.
Aux Pays-Bas : Nation du plein-Emploi et du 80% du temps de travail
Les Pays-Bas ont presque tout pour faire rêver : un des niveaux de richesse par habitant les plus élevés d’Europe, des villes agréables à l’architecture typique, un mode de vie sain, et surtout …. Le plein-emploi.
Aux Pays-Bas, ne pas trouver du travail, c’est presque impossible. Si bien que les salaires ont augmenté de 2.5% en 2019 et la hausse devrait se poursuivre en 2020.
Le gouvernement envisage même de faciliter l’accès au marché du travail pour les personnes non originaires de l’UE. Mais quel est le secret des Pays-Bas ?
Tout d’abord, la durée légale du travail est plus élevée : 38h/semaine. De ce fait de nombreux néerlandais demandent à travailler à 80%, pour pouvoir avoir un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, ce qui est très couramment accepté. Deuxièmement, la fiscalité avantageuse des Pays-Bas attire
de nombreuses entreprises et crée ainsi de nombreux emplois.
Enfin une fois de plus, c’est la flexibilité qui permet de stimuler l’emploi. Le temps de travail peut aller jusqu’à 45 h par semaine sans que cela ne crée de problème administratif. Cette flexibilité est utilisée par les néerlandais pour continuer à se former tout au long de leur vie. Le système éducatif supérieur est construit de façon à faciliter les cours du soir par exemple.
Une fois de plus ce plein emploi, n’empêche pas 10% de la population de vivre sous le seuil de pauvreté (50% du revenu médian), ce qui montre un réel problème d’allocation des ressources et de certains niveaux de salaire.
Cependant, les Pays-Bas sont en train de développer un système très à l’écoute des salariés, et où le bien-être et l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle est important.
Alors finalement la France, où en sommes-nous?
En France, 3 éléments nous donnent l’impression que le chômage est une fatalité. La première est que notre population active continue de grandir contrairement à l’Allemagne. Cela veut dire que chaque année, nous devons en moyenne créer plus d’emploi pour que le taux de chômage reste constant.
Le deuxième élément, c’est que contrairement aux néerlandais ou aux allemands, les compétences disponibles sur le marché du travail ne sont pas en adéquation avec les compétences demandées sur le marché. De nombreuses offres d’emplois ne trouvent pas preneurs tout simplement car notre système éducatif et de formation n’est pas parfaitement coordonnés avec le monde du travail et les mutations de l’économie. Combien d’emplois/formation aidés sont créés alors que le service ou l’industrie est en train de disparaître ? Ce système-là, assure que les chômeurs d’aujourd’hui, seront de retour dans quelques années à la case départ. De plus, ce système ne garantit pas un emploi dans le long terme, et n’est pas une protection contre la précarité. Avec une politique de l’emploi passive, sans formation durable, un niveau de chômage structurel persistera.
Le troisième et dernier élément réside dans notre système d’indemnisation, et de protection. Loin de moi l’idée de pointer la durée, ou le montant des indemnisations, ils sont propres à chaque pays et chaque économie.
Le problème réside plus dans l’inscription systématique, même pour des périodes très courtes afin de bénéficier des avantages du système d’indemnisation. En effet, il est demandé aux chômeurs de s’inscrire à Pôle Emploi après avoir fini un contrat. Supposons que certains d’entre eux savent qu’ils vont reprendre un travail très rapidement (c’est ce qu’on appelle le chômage frictionnel), ils ne seront pas indemnisés à cause des jours de carence par exemple. Artificiellement, les chiffres du chômage gonflent. D’après Pôle Emploi, dans certaines régions, cela peut représenter jusqu’à 10% des inscriptions.
En conclusion, si nos partenaires font mieux que nous en terme macroéconomique, il est important de voir ce qu’il se passe au niveau micro-économique, notamment en termes de pauvreté mais aussi de formation et de
carrière. Malheureusement, il y a des gagnants et des perdants dans tous les pays, mais ce qu’il est important de retenir c’est qu’aucun système n’est parfait, qu’être protégé n’est pas synonyme de profiter, et que travailler n’est
malheureusement pas toujours synonyme de prospérer.
Olivier CRISTIANI