par Damien Richard
Le secteur immobilier chinois, principale composante de la croissance économique du pays depuis plus de deux décennies, s’enlise de plus en plus dans une crise inédite depuis la libéralisation de l’activité immobilière dans les années 1990. Les difficultés des géants promoteurs immobiliers chinois ainsi que des particuliers ayant investi leur épargne dans l’immobilier inquiètent le gouvernement. Certains experts considèrent que l’immobilier peut devenir le principal élément d’une crise économique touchant tous les secteurs en Chine et même au-delà.
L’immobilier chinois : le secteur fort depuis deux décennies
Le secteur immobilier est depuis le début des années 2000 le principal secteur économique chinois. En 2021, il représente à lui-seul 29% du PIB de la deuxième puissance économique mondial. Entre 1997 et 2009, les prix de l’immobilier ont été multipliés par 27 au moment même où 200 millions de Chinois ont quitté la campagne pour rejoindre les villes. Les grandes banques chinoises ont largement contribué à ce développement en favorisant l’emprunt pour les ménages et les promoteurs immobiliers.
C’est en 1989, avec la mise en place du règlement provisoire de la République populaire de Chine sur l’octroi et le transfert des droits d’utilisation des terres appartenant à L’Etat dans les zones urbaines, que va s’amorcer la croissance du secteur immobilier chinois. Ce texte a contribué à libéraliser le marché immobilier chinois et a permis aux gouvernements locaux de placer des terrains comme garantie lors d’investissements à grande échelle. Les gouvernements locaux ont ensuite profité des nombreux terrains désormais considérés comme des actifs à haute valeur pour faire considérablement augmenter leurs revenus fonciers et financer des projets de développement ambitieux.
Plus tard, en 1998, une grande réforme immobilière va définitivement libéraliser l’immobilier chinois. Les logements, qui jusque-là étaient pour bon nombre d’entre eux garantis par les grandes entreprises à leurs salariés (ce qui était une sorte de protection sociale offerte au salarié), deviennent des actifs négociables. Cette réforme avait pour but de permettre aux grandes entreprises de concentrer leurs ressources sur leur activité commerciale, néanmoins elle permettra également de faire de l’investissement privé immobilier le principal élément de la croissance chinoise.
En effet, la bourse reste très peu accessible au grand public dans les années 2000 en Chine. L’épargne s’est donc majoritairement tournée vers l’immobilier, ce qui a fait exploser la demande en biens immobiliers. Dans le même temps, de grands groupes immobiliers vont émerger et devenir par la suite certaines des plus grandes entreprises chinoises. Parmi elles, Country Garden ou encore Evergrande qui sont aujourd’hui les deux plus gros promoteurs chinois.
2020 : l’enlisement dans la crise
Les premières difficultés pour l’immobilier chinois sont apparues en 2020. La politique zéro covid du gouvernement ainsi que les confinements à répétition ont fait ralentir fortement l’activité économique. Cependant les prix de l’immobilier ont continué de grimper dans les grandes villes telles que Shenzhen ou Shanghai et les promoteurs ont continué le lancement de nouveaux projets, avec l’aide du financement considérable des banques. La classe moyenne, qui n’a aucun dispositifs d’aide face à la hausse soutenue des prix de l’immobilier, n’a pas pu suivre l’engouement toujours plus intense du secteur immobilier. Ainsi les biens construits ne trouvent désormais plus d’acheteurs. Dans un second temps, le gouvernement a décidé de réagir face à la hausse des prix et a contraint les banques à ralentir leur financement et imposer des ratios de solvabilité aux promoteurs immobiliers.
C’est précisément ce dernier point qui va affaiblir plusieurs grands groupes chinois. L’exemple le plus flagrant est celui de l’entreprise Evergrande. Il s’agit en 2020 du plus gros promoteur immobilier en termes de chiffre d’affaires, comptabilisant également 123 000 employés. Evergrande a profité des conditions très favorables liées à l’emprunt jusqu’à la crise sanitaire pour diversifier ses activités. Le groupe a par exemple développé un club de football, le Guangzhou Football Club racheté pour plus d’1,5 milliards de dollars. Evergrande s’est également introduit dans le secteur du tourisme, des cliniques médicales ou encore de la voiture électrique. L’entreprise a financé ses activités grâce au montant colossal d’emprunt contracté. Néanmoins, dès lors que les banques ont été contraintes d’imposer des ratios prudentiels aux promoteurs, Evergrande s’est retrouvé au bord de la faillite et est endetté aujourd’hui de plus de 300 milliards de dollars.
D’autres promoteurs ont également été incapables de rembourser leurs dettes, c’est le cas par exemple de l’entreprise Fantasia qui enregistre un défaut de 300 millions de dollars. Ces dettes étouffantes ont eu pour effet de stopper l’activité sur le marché immobilier et, en 2022, de faire baisser les prix et la valeur des biens. Après vingt années de hausse des prix de l’immobilier, les prix des logements ont diminué de 1% à Shanghai et de plus de 4% à Guangzhou. En conséquence, le patrimoine d’un grand nombre de ménages chinois, principalement composé d’actifs immobiliers, se décompose lentement.
Au total, en 2022, quelques 225 millions de mètres carrés de chantier ont été mis à l’arrêt selon l’agence Bloomberg. La banque mondiale évoque ainsi le risque d’une crise plus intense et plus large issue de l’immobilier chinois : « les tensions persistantes dans le secteur de l’immobilier pourraient avoir des répercussions économiques et financières plus larges ».
Quelles réponses pour éviter une diffusion de la crise immobilière ?
Il est certain que les tensions liées au secteur immobilier en Chine prennent place au pire des moments. Le gouvernement doit déjà s’occuper de plusieurs dossiers primordiaux : Taïwan, recrudescence du Covid et manifestations pour la sortie des confinements, pénuries de matières premières stratégiques, guerre commerciale avec les Etats-Unis…. Tous ces facteurs, couplés avec la crise immobilière, peuvent largement influencer la croissance économique du pays. Il s’agit d’ailleurs de la conclusion de la banque mondiale qui a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour la Chine en 2023.
Le gouvernement chinois n’a d’abord pas réellement réagit à cette crise immobilière lors des difficultés de paiement d’un grand nombre de promoteurs. Souhaitant miser sur le secteur des nouvelles technologies, il a fait comprendre aux grandes entreprises immobilières que le secteur ne sera plus une priorité en Chine. Seulement le montant considérable de la dette liée à l’immobilier ainsi que la colère des citoyens ont eu raison de cette volonté première. Le gouvernement a ainsi décidé, à travers la banque centrale, de mettre en place des mesures pour relancer l’immobilier fin novembre 2022. Un soutien au crédit a été instauré, ainsi que des garanties sur les emprunts directement accordées par la banque centrale. Le gouvernement a presque totalement abandonné sa ligne directrice consistant à limiter drastiquement l’endettement des groupes immobiliers afin de relancer l’investissement foncier. Il s’agit maintenant de voir si cette réaction n’est pas trop tardive.