Loi Sapin II et assurance vie : votre argent est-il en sécurité en ces temps d’endettement public ?


De Gaëtan Salles

Vous avez peut-être déjà entendu parler de la loi Sapin II pour peu vous vous soyez intéressé aux divers types de placement financiers. On ne compte plus les pseudos « lanceurs d’alerte » sur internet incitant, au nom de cette disposition légale, à délaisser l’assurance vie au profit de produits d’épargne allégués plus sûrs… Voyons ce qu’il en est au regard des textes officiels, des communiqués des diverses institutions et des avis d’experts, tout cela, bien sûr, en prenant en compte la délicate conjoncture que nous connaissons actuellement. 

Cela fait maintenant plus de secret que l’Etat s’est orienté vers l’emprunt comme mode de financement de sa politique économique actuelle. La conséquence logique est donc évidemment la hausse de l’endettement public, dont les chiffres de comptabilité nationale publiés par les organismes officiels sont éloquents. Ainsi, dans son rapport publié le 22 décembre 2020 relatif aux chiffres du troisième semestre 2020, l’INSEE estime que la dette publique s’élève à 2 674,3 milliards d’euros. A ce rythme, dans son rapport économique, social et financier (publié en octobre 2020 et annexé à la loi de finances 2021), le ratio d’endettement national atteindrait 116,2% du PIB d’ici fin 2021 (légèrement en deçà de 2020). Quoi qu’il en soit, la crise sanitaire marque une hausse significative de l’endettement, comme le montre ce graphique : 

Sur le site de la Direction Générale du Trésor, Madame Agnès Bénassy-Quéré, chef économiste de la DG du Trésor, rappelle qu’il n’est ni légal, ni utile et ni même souhaitable d’annuler la dette publique. En effet, puisque la BCE est la propriété exclusive des Etats membres, annuler les dettes publiques libérerait les Etats membres de la créance que la BCE détient sur eux mais dévaluerait concomitamment l’actif que représente la BCE dans leur patrimoine. L’endettement net n’en sera donc pas réduit pour autant. L’économiste conclut en fin d’article que la solution pour réduire l’endettement repose donc plutôt sur l’épargne drainée par les marchés financiers et le pouvoir d’achat des ménages. 

Mais alors, si ces problématiques d’endettement ne peuvent être résolues par une action strictement comptable, voire juridique, à l’instar d’une annulation ou d’un refus de paiement, et que les ménages apparaissent de facto comme la clé d’une relance économique nécessaire aux remboursements de la dette, l’application des dispositions de la loi Sapin II plane comme une épée de Damoclès sur les Français. Cette possibilité a d’autant plus agité les esprits que les Français auraient particulièrement épargné en 2020, soit par précaution au regard de la conjoncture, soit par la baisse de certaines dépenses (notamment de loisirs du fait de la fermeture de certains lieux ou d’un tourisme moins important). En 2020, les français auraient épargné 90 milliards d’euros de plus qu’en 2019.  

Nous verrons donc tout d’abord le contenu de cette loi susceptible d’impacter les épargnants puis nous découvrirons les conditions de son application, quels en sont les risques et, enfin, ce que peuvent proposer les gestionnaires de patrimoines pour échapper à de telles dispositions. 

Au commencement, qu’est-ce que la loi Sapin II ? 

La loi Sapin II, ou loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, a été définitivement adoptée par le Parlement le 8 novembre 2016. Selon le ministère de l’économie, des finances et de la relance, l’ambition d’une telle loi est de « porter la législation française aux meilleurs standards européens et internationaux en matière de lutte contre la corruption et contribuer ainsi à une image positive de la France à l’international »

Si les lignes directrices semblent donc claires et louables, l’article 21 bis cristallise de nombreuses réticences. En effet, il vient modifier l’article L631-2-1, 5°ter du Code Monétaire et Financier qui dispose désormais que le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) peut « afin de prévenir des risques représentant une menace grave et caractérisée pour la situation financière de l’ensemble ou d’un sous-ensemble significatif de ces personnes ou pour la stabilité du système financier, prendre les mesures conservatoires suivantes :

a) Limiter temporairement l’exercice de certaines opérations ou activités, y compris l’acceptation de primes ou versements ;

b) Restreindre temporairement la libre disposition de tout ou partie des actifs ;

c) Limiter temporairement, pour tout ou partie du portefeuille, le paiement des valeurs de rachat ;

d) Retarder ou limiter temporairement, pour tout ou partie du portefeuille, la faculté d’arbitrages ou le versement d’avances sur contrat ;

e) Limiter temporairement la distribution d’un dividende aux actionnaires, d’une rémunération des certificats mutualistes ou paritaires ou d’une rémunération des parts sociales aux sociétaires. »

Cette limite temporaire est de trois mois renouvelable une fois, ce qui pourrait permettre une durée totale de six mois. 

En d’autres termes, ce texte permet sous certaines circonstances une ingérence significative du HCSF dans les opérations de gestion d’épargne. Concernant les ménages, ce serait l’assurance vie qui pourrait en pâtir, notamment par la disposition d). L’enjeu est d’autant plus prégnant que l’encourt des assurances vie des Français représente tout de même 1 753 milliards d’euros.

Outre l’assurance vie, les produits d’épargne concernés sont les contrats de capitalisation, les produits d’épargne retraite (PERP, PER, contrats Madelin) et les produits d’épargne salariale (PEE et PERCO). Tous ces produits ne manquent d’ailleurs pas de profiter d’une hausse de l’épargne en France depuis le début de la crise sanitaire, comme l’atteste ce graphique : 

Mais alors, entrons dans le vif du sujet ! Doit-on s’inquiéter de l’application de ces dispositions au regard de la conjoncture actuelle ? 

Force est de constater que cette inquiétude est partagée par de nombreux épargnants. Par ailleurs, l’article 21 bis de cette loi avait fait l’objet d’une saisine du Conseil Constitutionnel par près de 120 parlementaires (qui a confirmé l’article le 8 décembre 2016) tandis que les associations de professionnels en gestion de patrimoine indépendants (CGPI) crient aux « Hold Up d’Etat ».

La crise sanitaire, accompagnée de la première crise économique depuis l’entrée en vigueur de la loi, fait ressurgir les appréhensions de 2016, ce qui a conduit le HCSF à clarifier les choses.

Ainsi, dans son communiqué de presse du 18 mars 2020, l’HCSF prend la mesure de la pénalisation de l’économie française en cette conjoncture et rappelle l’incertitude persistante, ce qui se traduit par de fortes corrections sur les marchés financiers. Il salue également les actions menées par le Gouvernement, la Commission Européenne, l’Eurogroupe et la BCE pour atténuer les conséquences économiques et financières de l’épidémie.  Ce qui peut être rassurant pour les épargnants, c’est que le HCSF souligne que « le choc [économique dû au coronavirus] contraste avec celui subi en 2008 qui était principalement de nature financière ». Autrement dit, la loi Sapin II a été faite a posteriori de la crise de 2008 et avait donc comme paradigme celui d’une crise financière, notamment issue des comportements des établissements financiers (et donc avec un risque de faillite potentiellement systémique de par leur envergure). 

Pour autant, sans vouloir être alarmant, les dispositions de l’article L631-2-1, 5°ter du Code Monétaire et Financier semblent apparaître en filigrane tout au long de la lecture du communiqué de presse. En effet, l’épargnant inquiet (que dis-je, averti !) ne manquera pas de s’attarder sur la conclusion rappelant que « [le HCSF] se tient prêt à prendre toute mesure relevant de ses attributions et nécessaire pour garantir la stabilité financière, de façon coordonnée avec les superviseurs et autorités nationales et européennes ». De plus, le fait que le HCSF recommande une « attitude responsable concernant la distribution de dividendes et le versements de rémunérations variables » fait curieusement écho, d’une manière plus diluée cependant, à la disposition e) susmentionnée relative aux versements des dividendes notamment.  

Existe-t-il un véritable risque de son application ? 

A court terme, il faut reconnaitre que de telles dispositions sont opposées au choix fait par l’Etat de soutenir largement l’économie. Sur le plus long terme, les projections sont également rassurantes. En effet, comme évoqué supra, l’article L631-2-1 du Code Monétaire et Financier a été rédigé pour une crise financière impactant directement les établissements financiers. La crise économique concomitante à celle du Covid n’a donc pas les mêmes fondements. 

En outre, une étude de SaxoBank salue l’intervention de la BCE en la qualifiant de « totale réussite ». Cette vision rassurante repose en fait sur l’évolution de l’indicateur de risque systémique de la BCE (composé de 15 indicateurs mesurant le stress financier). En effet, l’indicateur de la BCE montre que les tensions de marché ont retrouvé leur niveau d’avant crise, de quoi être optimiste pour la suite…

Peut-on alors adapter la gestion de son patrimoine  ? 

Ainsi, peu de risque effectif d’une application de cette disposition tant controversée de la loi Sapin 2. Pour autant, les épargnant les plus pointilleux y voient une contrainte supplémentaire propre à peser sur la liquidité même des fonds placés sur leur assurance vie. Certains gestionnaires de patrimoine vantent alors l’assurance vie luxembourgeoise qui représenterait des intérêts non négligeables en termes de sécurité de l’épargne. 

Cependant, échapper à la loi Sapin 2 n’est pas aussi facile qu’il n’y paraît. En effet, bien que le Luxembourg présente une plus grande sécurité, il convient de faire attention à la nationalité de l’établissement qui pratiquera la réassurance (cette technique permet à l’assurance de confier à un réassureur la gestion des fonds). Mais alors, si le contrat d’assurance se trouve géré par un réassureur français et que le fond est à capital garanti en devise, alors il est susceptible de tomber sous l’application de la loi Sapin 2. 

L’astuce réside alors dans le choix d’une assurance vie luxembourgeoise en unités de comptes. L’épargnant dispose d’une assurance vie dont la valeur est exprimée en parts (et ce parce que l’épargne aura été investie, par exemple, dans des parts d’OPCVM). Là encore, un tel choix se doit d’être réfléchi et particulièrement stratégique : placer en unité de compte est plus risqué car le capital n’est pas garanti. Rien n’est donc moins sûr que l’aversion contre la loi Sapin 2 qui, de toute façon, n’a pas lieu pour l’instant d’inquiéter, ne vaille la peine à elle seule de délaisser la traditionnelle assurance vie (l’argument principal pour l’option de l’unité de compte est donc essentiellement des rendements plus élevés mais certainement pas la sécurité de l’épargne qui, placée en parts, devient variable à la baisse).

Gaëtan SALLES. 

Sources : 


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