L’Investissement Socialement Responsable : nécessité ou miroir aux alouettes ?

Le 14 janvier, l’EDF Californien PG&E se déclarait en faillite suite à des réclamations financières s’élevant à plus de 30 milliards de dollars. Sa responsabilité a été mise en cause dans les incendies qui ont ravagé près de 190 000 hectares de terres en Californie. Si la sécurité de ses installations est discutable, la sècheresse des sols et les températures élevées ont joué un rôle dans la propagation rapide des feux. En seulement 2 mois, l’action PG&E a baissé de 85%, ce qui pose la question de la prise en compte des critères environnementaux dans la gestion d’actifs.
Certains investisseurs n’ont pas attendu cet évènement pour commencer à prendre en compte les critères environnementaux. En 2006, les Nations Unies ont fixé les Principes pour l’Investissement Responsable dans le Global Compact qui se démocratisent depuis. En 2017, l’Investissement Responsable représentait selon l’Association Française de la Gestion Financière 1 081 milliards d’euros d’actifs sous gestion en France. Les sociétés de gestion françaises gèrent donc près d’un tiers de leurs actifs en prenant en compte des critères ESG. Toutefois, l’ISR reste minoritaire car des interrogations subsistent concernant ses performances.
L’ISR consiste à tenir compte des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance en plus des critères financiers traditionnels dans les décisions d’investissements et de gestion d’actifs. L’objectif est de concilier la performance financière avec le développement durable et le socialement responsable.
Cette pratique peut prendre plusieurs formes. L’approche d’Exclusion consiste à ne pas considérer les entreprises ne respectant pas les critères socio-environnementaux (Tabac, Armes, OGM par exemple). L’approche Best in Class consiste à investir dans les meilleures entreprises de tous les secteurs. Plus poussée, l’approche thématique se focalise sur certains secteurs liés au développement durable (énergies renouvelables, eau, alimentation). Enfin, l’Impact Investing est l’approche la plus engagée car elle vise à influencer les entreprises à améliorer leurs pratiques ESG via les droits d’actionnaires. Elle peut également prendre la forme de produits financiers reversant une part de ses performances à des projets sociaux ou de développement durable.
Quelles performances pour les fonds actions ISR ?
Selon ses opposants, l’ISR réduit les opportunités d’investissement et offre par conséquent une capacité de diversification beaucoup moins importante. Or selon la théorie moderne du portefeuille (Markowitz 1952), un portefeuille doit être correctement diversifié pour être efficient. En résulterait des performances plus faibles que celles d’un investissement traditionnel. La gestion des portefeuilles ISR serait également plus coûteuse du fait de recherche d’informations plus élevées que dans la gestion de portefeuilles conventionnels (afin de savoir si les titres respectent les critères ESG).
Ce point de vue s’oppose à de récentes études et travaux de recherche. Par exemple, pour évaluer la performance des entreprises prenant en compte les critères ESG, MorningStar a créé des indices durables. Sur les 20 indices durables de Morningstar, 16 ont surpassé leurs homologues non durables au cours de leur vie, tel que l’indice Morningstar Europe Sustainability avec une performance annualisée de 9,1% depuis 2009.
Cette vision de fonds ISR sous-performants est également mis à mal par la performance ytd de fonds ISR tels que Comgest Growth Europe Smaller Companies (+25%), Mirova Global Sustainable Equity Fund (+19,5%), Amundi Actions USA ISR (+17%) ou encore BNP Paribas Développement Humain (+11,5%).
Aussi, on constate que les entreprises prenant en compte les critères ESG affichent généralement une meilleure santé financière et un meilleur positionnement concurrentiel. En effet, les entreprises prêtant attention aux critères ESG agissent dans leur propre intérêt. Réduire sa consommation d’énergie n’est pas seulement bénéfique pour l’environnement, c’est aussi le moyen de réduire les coûts. Traiter correctement ses employés est un moyen d’attirer et de retenir les talents. Un conseil d’administration indépendant fournit un meilleur contrôle sur les dirigeants d’entreprises, ce qui permet des prises de décision plus efficaces. Le respect des critères ESG constitue pour les entreprises un bon moyen de prévenir les risques tout en améliorant leurs performances à long terme.

Cette analyse est confirmée par les travaux de OFI Asset Management, société de gestion engagée et responsable. En 2017, OFI AM a classé les entreprises en fonction de leur respect des critères ESG, allant de « leader » à « sous surveillance« . On constate que les sociétés « leader » affichent une performance supérieure de +60% à celles des entreprises « sous surveillance » sur 10 ans.
Les performances simulées présentées sont nettes de frais de gestion.
Toutefois, selon une étude empirique menée en 2012 par Christophe Revelli et Jean-Laurent Viviani, il n’existerait pas de corrélation entre ISR et performance. A performances égales, il apparait toutefois préférable de favoriser l’investissement responsable à celui conventionnel.
Comment l’ISR peut-il gagner du terrain ces prochaines années ?

Entre 2017 et 2018, les encours des fonds verts ont cru d’environ 50%. Cet important développement est toutefois à mettre en perspective : les fonds verts représentent moins de 1% des encours sous gestion en Europe. Ainsi, il reste encore du chemin à parcourir.La France est actuellement leader sur ce marché avec 32% des encours. Toutefois, la dynamique européenne reste déséquilibrée.
L’ISR peut gagner du terrain grâce à la gestion indicielle. Dans la mesure où la gestion indicielle a pour vocation de répliquer des indices de référence (tels que le CAC40 ou le S&P500), il est tout à fait possible d’utiliser des indices intégrant des critères ESG. De plus, les fournisseurs d’indices sont très actifs en terme de création d’indices, et les nouveaux indices qu’ils proposent s’appuient sur des critères de sélection de titres de plus en plus exigeants.

Pour que la démocratisation de l’ISR soit complète, il faudrait également des incitations règlementaires et fiscales. Par exemple, instaurer un pourcentage des portefeuilles PEA à investir en titres ou OPCVM labellisés ISR serait très efficace (cf labels TEEC et ISR créés en 2015). L’union Européenne prévoit d’ailleurs la création d’un label ISR européen, visant à harmoniser les critères ESG.
Il existe en effet une limite au développement de l’ISR : il pâtit d’un manque d’harmonisation des critères ESG. Chaque société de gestion, chaque pays dispose de ses propres indicateurs. La prochaine étape pour la finance verte est donc de mettre en place des critères ESG communs. Selon EY, « Il est nécessaire d’améliorer l’information et la mesure des critères ESG pour qu’ils soient réellement utiles aux investisseurs institutionnels ».
La mise en place d’un indice commun permettrait d’augmenter la confiance des investisseurs et de lutter contre les fonds « Greenwashing ».
Au niveau environnemental, sont pris en compte des critères liés aux quantités de CO2 rejetés, à la consommation d’énergie/d’eau rapportée au chiffre d’affaires, etc… Si ces critères sont tangibles, le critère social reste plus complexe à appréhender, il en va de même pour les questions de gouvernance.
L’ISR pâtit également d’une absence de cadre règlementaire uniforme à l’échelle internationale pour obliger les entreprises à fournir des informations détaillées sur leurs impacts ESG.
La prochaine crise financière pourrait être provoquée par le dérèglement climatique. La question que se posent désormais certaines personnes au sein du monde financier est : quand sera la prochaine ?
Après la bulle internet en 2000 et la crise des subprimes de 2008, cela fait maintenant plus de 10 ans que l’économie mondiale n’a pas connu de crise majeure. Or, une fois que l’on prend en compte les risques liés aux changements climatiques, des vulnérabilités apparaissent. On prend conscience que de larges capitalisations boursières telle que PG&E sont vulnérables face à ces risques. Lors de la COP24 en décembre 2018, 415 investisseurs ont publié une déclaration qui met en garde contre un changement climatique toujours plus intense qui pourrait provoquer une destruction économique mondiale d’une valeur de 23 mille milliards de dollars au cours des 80 prochaines années.
Face à cette problématique, l’ISR apparait comme une réelle nécessité. C’est un excellent outil pour prévenir les risques sans sacrifier les performances. L’enjeu actuel est de savoir si l’ISR est réellement à même d’encourager les sociétés à adopter des comportements plus vertueux.
Adrien De Boissezon
Sources :
https://www.economie.gouv.fr/facileco/linvestissement-socialement-responsable
[MOVE-TO PLACEHOLDER for #142747, WS#1]
https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/finance-et-societe/nouvelles-economies/l-investissement-socialement-responsable/quest-ce-que-linvestissement-socialement-responsable/
https://www.mutavie.fr/portal/rpm/conseils-epargne-patrimoine/isr-et-performance-est-ce-compatible
Rédaction terminée le 24 Avril 2019