Dans sa lettre aux actionnaires de Berkshire Hathaway en 1986, Warren Buffett évoque pour la première fois le concept de « moat », pour qualifier la force d’une société (GEICO, une compagnie d’assurance automobile) dans laquelle il est investi. Aujourd’hui encore, le « moat » est une caractéristique recherchée par nombre d’investisseurs de long-terme.
Pour comprendre ce qu’est ce « moat », commençons tout d’abord par sa traduction puis sa définition.
Littéralement, le « moat » correspond aux douves des châteaux forts. Les douves sont ces fossés remplis d’eau qui entourent le château, dans le but de le protéger des envahisseurs.
Buffett reprend ce terme de « moat » pour l’appliquer aux sociétés : plus fort sera le « moat » d’une firme, plus son business model sera protégé de la concurrence. Le « moat » est donc un rempart concurrentiel, un avantage compétitif de long terme qui permet à l’entreprise de défendre durablement ses parts de marchés et, in fine, ses profits.
Evaluer le « moat » :
Partons d’un principe simple : plus les douves sont larges, plus le château est protégé. Ainsi, l’objectif de tout management de société devrait être de créer, puis d’élargir autant que possible ses douves.
Il est néanmoins ardu d’évaluer le « moat » d’une société. D’abord, parce qu’il n’est pas quantifiable : jamais on ne croisera d’éléments du type « le moat a progressé de 20% cette année » dans les rapports annuels des sociétés. Ensuite, parce qu’il ne porte pas sur les mêmes points d’une industrie à l’autre. Creusons cela avec notre prochain paragraphe.
Comment créer un « moat » ?
On peut dégager tout d’abord plusieurs types de « moats » :
– ceux liés à des actifs intangibles : à des brevets par exemple, qui permettent à l’entreprise de vendre une technologie propriétaire à forte valeur ajoutée, ou encore à des marques, qui lui permettent d’installer durablement ses produits chez les consommateurs (Disney ou encore Cola-Cola, pour rester dans l’univers de W. Buffett) ;
– ceux liés aux « coûts de conversion » : pour une grande entreprise, changer de système d’exploitation sur l’ensemble de son parc informatique représenterait des coûts à la fois financiers, mais aussi humains conséquents. Chaque collaborateur devrait en effet être formé au nouveau système d’exploitation avant d’être pleinement opérationnel. A ce titre, Microsoft bénéficie d’un « moat » important grâce à Windows ;
– ceux liés aux coûts opérationnels et plus largement, à une organisation efficiente : grâce notamment à une supply chain particulièrement efficace, Zara domine le marché hautement concurrentiel du « fast-fashion », tout en gardant un haut degré de valeur perçue des produits et des prix contenus ;
On pourrait ensuite citer d’autres types de « moats », comme l’effet réseau, donné par Morningstar avec l’exemple précis d’Ebay : autrefois Ebay était le lieu incontournable pour qui voulait vendre et acheter aux enchères ses produits. Pour les vendeurs, c’était la plateforme regroupant le plus d’acheteurs. Pour les acheteurs, c’était la plateforme avec l’offre la plus large et donc des prix de départ en forte concurrence. Le site réussissait à capter un flux croissant d’utilisateurs. Néanmoins, considérer l’effet réseau comme un « moat » est discutable : dans le cas d’Ebay, ce ne fut pas un rempart concurrentiel très solide face à Amazon, qui a su en créer de solides (notamment sur Web Services, ou … Marketplace !). Pour illustrer cet effet réseau, on peut évidemment aussi penser à Facebook, l’AppStore d’Apple, ou YouTube.
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En définitive, ne pas posséder de « moat » ne signifie pas nécessairement disparaître pour une société. Mais en posséder un – voire plusieurs -, le conserver et même le faire croître devrait être un but du management afin de s’assurer des parts de marchés sur un horizon durable et ainsi, satisfaire l’investisseur de long-terme.
Arthur Bernasconi avec Joris Dupraz
Sources :
http://www.berkshirehathaway.com/letters/1986.html
http://news.morningstar.com/classroom2/course.asp?docId=144046&page=5&CN=COM